Doctorante en création littéraire à l’UQAR, Thuy Aurélie Nguyen est habitée depuis qu’elle est petite par la mélancolie de ses ascendants qui ont quitté leur terre sans l’avoir choisi. Son projet de recherche-création entrecroise intimement les thèmes de la migration et de la filiation, de l’exil et de la transmission.
Le doctorat en lettres de l’UQAR propose l’option « recherche-création » et comporte la production d’une œuvre de création ainsi que l’analyse d’un corpus littéraire. Le récit de Thuy Aurélie retrace le parcours de sa narratrice qui est moitié française, moitié vietnamienne et québécoise d’adoption. Immigrante de deuxième génération, elle porte un exil qui n’est pas le sien mais celui de son père, qui a quitté le Vietnam pour la France au milieu des années 1960. Son projet est dirigé par la professeure en littérature contemporaine Katerine Gosselin et codirigé par l’écrivain et professeur Paul Chanel Malenfant.
Bien que l’histoire soit inspirée de la trajectoire de Thuy Aurélie, elle n’est ni une autobiographie ni une autofiction, puisque l’auteure se réserve le droit à la liberté et à l’imagination. Elle parle plutôt d’un récit migrant de filiation, où elle raconte cette perte de repères et l’adaptation nécessaire à un nouveau milieu, croisé à la quête identitaire.
Aux frontières de la prose et de la poésie, à travers de brefs fragments, Thuy Aurélie Nguyen relate des moments où la narratrice est confrontée à la différence de ses origines. « Dès la petite école, un élément aussi simple que le prénom – Thuy Aurélie – fait en sorte qu’elle réalise que son identité ne va pas de soi pour les autres. Pourtant, elle se croyait jusqu’alors comme ses camarades. En plus, de père vietnamien et de mère française, elle est tiraillée entre deux identités parentales, deux visions du monde très différentes », raconte-t-elle. « Son arrivée au Québec lui donne l’espace suffisant pour sortir de cette dualité. La découverte et l’intégration de cette troisième culture lui permet de choisir ce qu’elle préfère chez chacune d’entre elles et de les faire dialoguer », ajoute Mme Nguyen.
« Ce Thuy est un casse-tête pour l’état civil. D’autant qu’il est surmonté d’un accent qui n’existe pas dans la langue française : un vermicelle. Ce vermicelle a rendu perplexes nombre de fonctionnaires, qui l’ont transformé en tréma, puis en accent circonflexe avant de l’effacer. Trop compliqué.
Et puis, il y a mon nom : Nguyen. À l’école, chacun le prononce à sa manière. Mes institutrices hésitent, accrochent sur lui, ce qui fait rire toute la classe. Moi qui voudrais passer inaperçue… Le plus drôle est de se faire appeler au tableau, sans reconnaître son propre nom et d’attendre, en pensant qu’il s’agit de quelqu’un d’autre. » (fragment « Origines »)
Thuy Aurélie Nguyen a constaté que les deux champs de la littérature contemporaine qui l’intéressent – les « écritures migrantes » et les « récits de filiation » ont été étudiés séparément dans la critique littéraire, sans jamais avoir été croisés. « Les chercheurs qui se sont penchés sur ces champs de recherche en font ressortir la négativité : les thématiques du déracinement, du déchirement, du manque, du deuil, de la nostalgie sont régulièrement citées dans les études sur les « écritures migrantes ». Dans les études sur les « récits de filiation », la hantise du passé, la mélancolie, le silence des pères sur les traumatismes qu’ils ont vécus et l’incapacité à habiter le présent reviennent fréquemment », observe l’auteure.
La partie « analyse » de sa thèse porte sur des récits migrants de filiation, de façon à ce que la partie recherche et la partie création soient intimement liées. Mme Nguyen analyse donc quatre romans contemporains qui croisent les thématiques de la migration et de la filiation : L’Énigme du retour de Dany Laferrière (paru en 2009) ; Ru de Kim Thúy (paru en 2010) ; Lumières de Pointe-Noire d’Alain Mabanckou (paru en 2013) et La Ballade d’Ali Baba de Catherine Mavrikakis (paru en 2014). Or, ces œuvres récentes proposent un nouveau regard sur la transmission générationnelle à travers l’expérience de l’exil. « Ces quatre romans s’éloignent de l’investigation sur les origines et déplacent cette quête identitaire en un processus de création. Les narrateurs traversent la crise que constitue l’exil grâce à l’humour, le jeu ou la mise en scène. Chez Kim Thuy, la traversée de l’exil se fait grâce à l’émerveillement et la gratitude. Chez Laferrière, c’est sa capacité à traverser les frontières entre le visible et l’invisible, qui lui permet de passer de la pesanteur à la légèreté. On sent un véritable changement de regard sur la transmission générationnelle, qui passe d’une posture de revendication par rapport à ses ascendants à une envie d’en apprendre plus sur son histoire et sur l’histoire des siens, en la réécrivant. La transmission n’est pas uniquement la responsabilité des ascendants, mais plutôt une coresponsabilité, remarque-t-elle.
« Mes parents nous rappellent souvent, à mes frères et à moi, qu’ils n’auront pas d’argent à nous laisser en héritage, mais je crois qu’ils nous ont déjà légué la richesse de leur mémoire, qui nous permet de saisir la beauté d’une grappe de glycine, la fragilité d’un mot, la force de l’émerveillement. » (Ru de Kim Thúy, p. 50)
Thuy Aurélie Nguyen participe activement à la vie littéraire et artistique du Bas-St-Laurent, par l’écriture de textes, par la participation à des spectacles littéraires et par l’animation d’ateliers et de tables rondes. Déjà détentrice d’une maîtrise en lettres modernes de l’Université Lumière Lyon 2, Thuy Aurélie Nguyen a aussi obtenu un baccalauréat en communication (relations humaines) de l’UQAR, une formation qui comprend une formation pratique axée sur l’intervention auprès des personnes en milieu organisé. « Mon travail en animation de groupe m’a mise en face de mon goût et de mon talent pour l’écriture. Mais c’est la possibilité de réaliser une thèse en création littéraire qui a fait en sorte que je décide de poursuivre mes études au doctorat », conclut-elle.
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