L’Arctique est une région propice à l’observation de l’impact des changements climatiques. Si le réchauffement de la température a clairement modifié le couvert de glace et la quantité de nuages, la productivité des écosystèmes marins a également subi des modifications sur le plan de la saisonnalité. Un constat important pour la communauté scientifique.
En 2009, le professeur Simon Bélanger a coorganisé une importante mission en mer de Beaufort et à l’embouchure du fleuve Mackenzie à bord du NGCC Amundsen dans le cadre du projet Malina. Réunissant une vingtaine de chercheurs de la France, du Canada et des États-Unis, cette campagne de deux mois dirigée par le professeur Marcel Babin, de l’Université Laval, a permis de recueillir une multitude de données concernant l’impact de la réduction de la banquise sur le fonctionnement de l’écosystème marin arctique.
La banquise qui recouvre l’océan Arctique a diminué d’environ 50 % au cours des dix dernières années. Dans le cadre de ses recherches, le professeur Bélanger s’est penché sur l’impact de la fonte de la banquise sur la lumière. « La diminution de la banquise augmente la quantité de lumière dans l’environnement aquatique. Cette augmentation de lumière a un impact significatif sur la productivité de l’écosystème marin et sur ce qu’on appelle la boucle microbienne, c’est-à-dire l’interaction entre les bactéries, le phytoplancton et les autres organismes microscopiques. »
Or, le réchauffement de l’océan Arctique et la diminution de la banquise favorisent l’évaporation qui stimule la production de nuages. « L’augmentation des nuages a diminué la quantité de lumière qui arrive à la surface au pourtour de l’océan. Contrairement à ce qu’on pensait, bien que l’augmentation de lumière disponible est très importante dans plusieurs régions en réponse à la fonte de la glace, il n’y a pas eu beaucoup de changement en bout de ligne sur la quantité de lumière si l’on considère l’ensemble de l’Arctique », explique le professeur Bélanger. Pour établir ce constat, le géographe de l’UQAR a analysé la production primaire (photosynthèse) dans l’océan Arctique de 1998 à 2010 à partir de données satellites de la NASA.
Cette découverte apporte un éclairage nouveau sur la production primaire en Arctique. « L’étude a démontré que pour avoir un portrait juste, il faut prendre en compte l’importance des nuages dans l’évaluation de la quantité de lumière. Des climatologues se sont déjà intéressés à l’augmentation de la production de nuages en Arctique, mais c’est la première fois que l’impact de cette croissance sur la lumière est documenté de la sorte. Il faut également noter que la quantité de nuages varie beaucoup dans l’espace. Il s’agit d’un point important de cette recherche, car souvent, les études qui ont documenté les changements dans la production primaire à l’aide de satellites ont intégré tout l’Arctique, sans tenir compte de l’information spatiale », souligne Simon Bélanger.
L’effet de la fonte de la banquise sur les propriétés optiques de la couche de surface de l’océan Arctique a également été analysé par le géographe de l’UQAR. « Lorsqu’elle fond, la vieille glace relâche une quantité assez importantes de particules absorbantes qui peut potentiellement interagir avec l’écosystème. Dans le premier mètre de la colonne d’eau, on se retrouve souvent avec une fine couche d’eau de fonte qui peut avoir jusqu’à 10 fois plus de matières particulaires absorbantes que les eaux sous-jacentes. L’origine de cette matière particulaire reste à déterminer, mais pourrait être d’origine anthropique en provenance de l’atmosphère, ou encore d’origine biologique, c’est-à-dire produite sur place car les algues de glace ».
Cette recherche sur l’absorption de la lumière a permis de documenter la variabilité verticale des matières particulaires qui modifient la couleur de l’eau de même que la quantité de lumière disponible dans l’océan Arctique et la réflexion de la lumière qui est vue par satellite. « Si on veut comprendre le signal satellitaire, c’est important de comprendre quels sont les éléments dans la colonne d’eau qui absorbent et diffusent la lumière », note M. Bélanger. Julien Laliberté, un étudiant à la maîtrise en géographie à l’UQAR, commence d’ailleurs des travaux de recherche afin d’évaluer les méthodes satellitaires utilisées pour estimer la quantité de lumière qui atteint la surface de l’Océan Arctique.
Les changements climatiques influencent de façon significative la production de phytoplancton dans l’océan Arctique, qui est à la base de l’alimentation de plusieurs organismes marins. Comme la glace disparaît plus tôt au printemps, le phytoplancton se développe également plus tôt en saison. En fait, dans certains secteurs de l’Archipel Arctique canadien, dont la polynie des Eaux du Nord, la production de phytoplancton semble augmenter en mai, mais diminuer au cours de l’été. Conséquemment, il y a une diminution de production de cet organisme au courant des mois de juin et de juillet.
« À mon avis, ce changement dans la saisonnalité va beaucoup retenir l’intérêt des chercheurs car il peut avoir des impacts majeurs sur le transfert de la nourriture vers les chaînes trophiques supérieurs, comme le zooplancton, les poissons et les mammifères », constate le professeur Simon Bélanger. « Avec la diminution de la glace, les ressources halieutiques de l’Arctique pourraient être convoitées et il important de comprendre l’impact des changements climatiques sur la productivité des écosystèmes. Il y a beaucoup de questions qu’on se pose car tout change très rapidement », conclut le chercheur de l’UQAR. Les relations entre le climat et la saisonnalité de la production primaire dans le nord de la baie de Baffin et la mer du Labrador seront examinées par le candidat au doctorat en sciences de l’environnement Christian Marchese.
Ayant permis de mieux mesurer l’impact des changements climatiques en Arctique, les recherches du professeur Bélanger sur l’augmentation des nuages et sur l’absorption de la lumière ont fait l’objet de deux articles, soit « Increasing cloudiness in Arctic damps the increase in phytoplankton primary production due to sea ice receding » et « Light absorption and partitioning in Arctic Ocean surface waters: impact of multi year ice melting », dont il est l’auteur principal. Ils ont tous deux été publiés par la revue Biogeosciences qui, au printemps, a lancé un numéro spécial regroupant une trentaine d’articles issus de recherches menées dans le cadre du projet Malina en Arctique.
Pour nous soumettre une nouvelle : communications@uqar.ca