Le deuil périnatal est un sujet délicat, sensible. Annuellement, quelque 11 000 familles canadiennes sont confrontées à la perte de leur nourrisson. Une épreuve difficile à laquelle les organisations sont encore mal préparées lors du retour au travail des employés endeuillés. Regard sur un enjeu de société encore tabou.
On définit le deuil périnatal comme la perte d’un bébé à naître à partir de la 20e semaine de grossesse ou du nourrisson de moins de 28 jours après sa naissance. Respectivement professeures en relations du travail et en gestion des ressources humaines, Mélanie Gagnon et Catherine Beaudry viennent de mener une recherche exploratoire auprès de dix femmes du Bas-Saint-Laurent, de Chaudière-Appalaches et de la région de Québec qui ont un vécu un retour au travail après la perte de leur bébé. Il s’agit d’ailleurs de l’une des premières recherches sur cette question effectuée au Québec.
Des groupes de discussion de trois heures ont été menés au printemps 2012. Bien que la recherche exploratoire ciblait autant les hommes que les femmes, ce sont uniquement des mères endeuillées qui y ont participé. « La littérature exprime bien que le deuil périnatal est vécu différemment chez les hommes et chez les femmes. Le fait que ce ne soit que des femmes qui ont répondu à notre appel en est une illustration. Elles ont un plus grand besoin d’en parler que les hommes », observe Mme Beaudry.
Diverses pistes ont été identifiées, à la lumière de ces témoignages, afin de faciliter le retour au travail lors d’un deuil périnatal. L’une concerne l’aménagement du temps de travail. « On parle, par exemple, d’un retour progressif au travail. Cela dit, un retour progressif doit s’accompagner d’autres mesures. La tâche doit être aménagée sinon l’employé va se retrouver en situation de surcharge et ne profitera pas des effets bénéfiques », indique la professeure Gagnon.
La possibilité d’avoir un horaire flexible est une autre solution favorisant la reprise des activités professionnelles. « Avoir un horaire flexible permet, notamment, à l’employé de commencer sa journée un peu plus tard ou de finir un peu plus tôt s’il se sent envahi par l’émotion dans le courant de la journée. Cela a été exprimé par toutes les personnes rencontrées dans notre recherche. Elles ne souhaitent pas tant un congé plus long que de sentir qu’il y a une ouverture d’esprit du côté de leur employeur. Un deuil ne se vit pas en cinq jours », souligne Mme Beaudry. « La possibilité de travailler à partir de la maison est une pratique à envisager si la nature du travail le permet. »
Offrir de l’aide professionnelle aux employés, que ce soit par le biais d’un programme d’aide aux employés ou d’un intervenant externe, est une solution pour aider les personnes endeuillées à exprimer leurs émotions. « Le simple fait de parler de deuil en milieu de travail est malaisé pour les gens. Il y a une séparation marquée entre la sphère privée et la sphère professionnelle. De diriger les personnes endeuillées vers un professionnel afin qu’elles posent les questions qu’elles ont à poser et qu’elles se sentent appuyées est déterminant », mentionne Mme Beaudry.
Si le soutien social de la famille des personnes vivant un deuil périnatal est très important, celui des collègues l’est également. « La personne endeuillée a besoin de sentir que ses collègues et son supérieur immédiat ne sont pas indifférents à ce qui lui arrive et qu’ils sont disposés à l’appuyer. Il y a une formation à faire auprès des gestionnaires sur ce qu’est un deuil et comment cela se vit », ajoute la professeure Mélanie Gagnon.
Il est, en outre, dans l’intérêt des organisations de faire leur part pour faciliter le retour au travail de leurs employés vivant un deuil périnatal, soutiennent les chercheuses de l’UQAR. « Cela peut avoir un effet très démobilisant pour la personne qui sent que son employeur n’est pas réceptif. Il y en a qui ont carrément changé d’emploi par la suite », note Mme Beaudry. « Le processus d’adaptation au deuil peut se poursuivre jusqu’à 30 mois après la perte. »
Les congés de maternité et de paternité sont accordés en vertu de la Loi sur l’assurance parentale. En avril 2012, une pétition de 12 000 noms a été déposée à l’Assemblée nationale afin de réclamer que les pères obtiennent, à l’instar des mères, un droit de congé de paternité de trois semaines lors d’un deuil périnatal. « Bien sûr, il y a eu un changement de gouvernement. Mais l’objectif est d’obtenir une commission parlementaire sur le sujet », précise la professeure Gagnon. « Mais je crois que ce que l’on devrait envisager, c’est que la Loi sur les normes du travail soit amendée afin que tout parent dont l’enfant décède ait droit à un congé, quel que soit l’âge. »
La terminologie de « congé de maternité » et de « congé de paternité » est, par ailleurs, à revoir dans le cas des parents endeuillés, estime la professeure Gagnon. « Cela devrait porter le nom d’un congé de deuil, c’est ce que c’est. Les personnes rencontrées dans le cadre de notre recherche se sentaient mal de prendre un congé de maternité car elles n’avaient pas de bébé. »
Le caractère novateur des travaux des professeures Gagnon et Beaudry attire l’attention. L’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés leur a d’ailleurs commandé un article sur leurs recherches pour son magazine Effectif. En décembre dernier, Mme Gagnon a participé à un colloque à l’École Supérieure de Commerce et Marketing, de Paris, portant sur « Les ressources humaines au carrefour des autres disciplines et des différentes fonctions dans les organisations ». En janvier, la professeure Gagnon a pris part par le biais de la technologie à la sixième conférence internationale sur la recherche en affaires et les sciences sociales présentée à Dubaï et se rendra à Prague en juillet 2013 dans le cadre du huitième colloque international portant sur l’interdisciplinarité en sciences sociales.
Beaucoup de travail de sensibilisation reste à faire, tant du côté des employeurs, du gouvernement que de la population, afin de faciliter le retour au travail des parents vivant un deuil périnatal, conclut Mélanie Gagnon. « C’est particulier de perdre un enfant en cours de grossesse ou dans ses premiers jours de vie. C’est un deuil qui est différent : on ne fait pas le deuil d’une personne qu’on a connue, on fait le deuil de l’espoir, d’un rêve, de tout ce qu’on n’aura pas connu. »
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