Le soccer n’est peut-être pas notre sport national, mais sa popularité dépasse de loin celle du hockey chez les jeunes de 12 à 17 ans. Depuis 1980, la pratique de ce sport a augmenté de près de 500 % au Québec. Intimidation, menace et violence font, hélas, partie des écarts de conduite répandus sur les terrains. Une situation préoccupante, mais non irréversible.
La Fédération de soccer du Québec (FSQ) compte pas moins de 194 000 membres. De 1980 à 2008, le membership de la FSQ a connu une hausse de 488 %. De son côté, l’Association de soccer de l’Ontario (OSA) regroupe quelque 390 000 membres. « Cela fait plusieurs années que le soccer est le sport le plus pratiqué au Québec, et même au Canada », mentionne le professeur en sciences de l’éducation au campus de Lévis, Martin Gendron. « Cela dit, un certain plateau a été atteint il y a quelques années. »
Contrairement au reste du monde, une forte proportion de filles ont adopté le soccer en Amérique du Nord. « C’est une de nos particularités. Au Québec, 40 % des membres sont des filles et aux États-Unis, cette proportion passe à 55 %. En France, on retrouve moins de 3 % de joueuses de soccer et en Allemagne, moins de 5 % », observe le professeur Gendron. « Le soccer, ou plutôt le foot comme disent les Français, est considéré dans plusieurs pays comme un sport pour les gars. »
Avec son collègue Éric Frenette, de l’Université Laval, M. Gendron a mené une série d’études exhaustives comme chercheur principal auprès de 4 000 joueurs et joueuses de soccer âgé(e)s entre 12 et 18 ans – dont plus de 600 inscrits à un programme sport-études en province – et près de 2 000 adultes des quatre coins du Québec impliqués dans ce sport. Ils ont identifié 11 comportements qu’ils ont regroupés sous trois échelles d’intimidation : intimidation verbale, intimidation physique et violence physique. Les joueurs ont été interrogés en fonction de leur rôle de témoin, de victime et d’agresseur, une approche novatrice peu utilisée à ce jour pour étudier ce phénomène de violence au soccer comme dans les autres sports.
En moyenne, 75 % des joueurs inscrits à un programme sport-études disent avoir été témoins d’au moins un des 11 comportements au cours des 12 derniers mois au soccer. À noter que ceux-ci peuvent prendre part durant cette période jusqu’à 250 parties ou pratiques au niveau élite AA et AAA. En outre, 53 % ont dit avoir été victimes d’au moins un geste d’intimidation verbale (en moyenne 9 comportements durant l’année) et 59 % de violence physique, comme des coups de coude (en moyenne 8 comportements durant l’année).
« Ce qui est questionnant, c’est que 25 % des joueurs disent n’avoir jamais été témoin ne serait-ce qu’une fois dans l’année d’un des comportements reliés à la violence dans leur sport. Est-ce que c’est parce que leur seuil de tolérance à des formes d’intimidation et de violence est élevé au point de ne pas juger bon de rapporter les actes ? C’est là une des hypothèses… mais cela pose des questions », souligne M. Gendron.
Autre point soulevé par l’étude, les garçons sont davantage exposés aux différents comportements associés à la violence que les filles, ce qu’appuie la littérature scientifique. « Toutefois, le taux de victimisation est plus élevé chez les filles à l’égard de comportements liés à la violence physique. Elles dénoncent plus souvent les cas », précise le professeur en sciences de l’éducation. Le soccer est-il victime de son succès ? Assurément, croit Martin Gendron. « À cause de cette croissance fulgurante, la Fédération et les associations régionales de soccer ont eu un défi de taille à relever. Des gens (des adolescents, des parents) se sont retrouvés du jour au lendemain entraîneurs et/ou arbitres sans expérience en ayant reçu une formation de base sommaire. Leur rôle est pourtant étroitement lié à l’éthique et au respect des règles du jeu. »
Une culture sportive différente
Le fait que l’Amérique du Nord n’ait pas la même culture sportive associée au soccer pratiqué en Europe ou ailleurs dans le monde offre un grand atout. « Nous sommes capables de voir les problématiques que les autres pays ont pu vivre notamment à l’égard de l’intimidation, de la violence ou du racisme. Cela ne nous protège pas contre la présence de ces comportements, mais nous sommes en mesure d’apprendre de l’expérience des autres pays et de pouvoir atténuer leurs impacts dans la mesure où les acteurs se mobilisent en ce sens », explique M. Gendron.
Le fait que des matchs de soccer professionnel soient de plus en plus présentés à la télévision peut influencer les attitudes et comportements de jeunes joueurs, estime le professeur Martin Gendron. « Depuis 2012, l’Impact de Montréal fait partie de la MLS, la Major Ligue Soccer, et cela rapproche le soccer professionnel des Québécois et des jeunes. Les joueurs professionnels sont perçus comme des modèles et ils peuvent permettre à des jeunes d’aspirer à poursuivre un peu plus loin dans ce sport. En revanche, le sport professionnel n’a jamais eu la réputation de ne présenter que des modèles « pro-sociaux » à reproduire tout le temps en termes de comportement. »
Comme la plupart des sports professionnels sont liés à des fins commerciales, les joueurs ont la pression de gagner leurs matchs. « Chez les jeunes, cette pression ne devrait pas être au rendez-vous, tranche le professeur en sciences de l’éducation. La question est de savoir si la proximité avec le soccer professionnel va avoir ou non des impacts négatifs sur les attitudes et les comportements des jeunes. »
Des résultats de recherche des professeurs Gendron et Frenette ont été publiés à l’automne 2011 dans la revue scientifique International Journal on Violence and School. Plusieurs médias québécois, dont La Presse et Le Soleil y ont consacré des articles en novembre dernier. S’ils présentent un côté plus sombre mais nuancé de l’état de situation du soccer – un sport qui n’est pourtant pas un sport de contact comme le hockey, par exemple –, les travaux des deux professeurs apportent un éclairage pour améliorer ce constat. « Est-ce que c’est paniquant ? Non. Est-ce qu’il y a lieu de s’y intéresser collectivement et de voir à trouver des solutions pour en atténuer l’impact ? Oui », indique M. Gendron.
En plus du regard des parents, des entraîneurs et des arbitres faisant actuellement l’objet d’une analyse comparative sur les déterminants de la « Participation au soccer amateur au Canada » (recherche subventionnée par le CRSH et Sport Canada) et sur la présence du phénomène de violence au soccer au Canada (recherche subventionnée par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport), MM. Gendron et Frenette vont consacrer une prochaine étude aux raisons qui poussent les jeunes à poser ce genre de gestes et aux motivations qui les incitent à passer à l’acte. « Nous voulons essayer de comprendre ce qu’il y a derrière ça, car nous sommes de ceux qui pensent que le soccer peut permettre de former un bon joueur mais surtout un citoyen en santé ayant des comportements prosociaux », conclut le professeur Gendron.
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