La découverte d’un spécimen complet de l’Elpistostege watsoni au Parc national de Miguasha passionne les paléontologues des quatre coins de la planète. Véritable chaînon manquant, ce fossile témoigne de l’évolution des vertébrés et de leur passage de l’eau à la terre. Le professeur Richard Cloutier a assuré la direction des recherches sur ce fossile unique au monde âgé de… 380 millions d’années !
C’est à l’été 2010 que ce fossile mesurant 1,60 mètre a été découvert par le patrouilleur Benoît Cantin et le technicien en paléontologie Jason Willett, du Parc national de Miguasha, et des visiteurs de ce site reconnu comme Site naturel du Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1999. Si la longueur de ce poisson fossilisé est en soi exceptionnelle, l’importance scientifique de ce spécimen rarissime réside dans l’éclairage qu’il apporte quant à l’évolution des espèces. « C’est l’une des dix découvertes les plus significatives de l’histoire de la paléontologie », estime le professeur Cloutier.
Les premières fouilles paléontologiques à Miguasha datent de 1880. Jusqu’à présent, 20 000 spécimens de poissons fossilisés y ont été retrouvés. Ceux-ci appartiennent à une vingtaine d’espèces différentes. Avant la découverte de l’été 2010, on ne connaissait que trois fragments de l’Elpistostege (deux morceaux de crâne et un autre montrant des écailles et un petit segment de colonne vertébrale). En 1937, le chercheur britannique Stanley Westoll a décrit l’Elpistostege watsoni en pensant qu’il s’agissait d’un prototétrapode, soit l’ancêtre des tétrapodes. Or, il s’agissait en fait d’un poisson dont certaines caractéristiques se rapprochent des premiers animaux qui ont marché sur la terre.
Le spécimen complet de l’Elpistostege watsoni a permis à l’équipe de chercheurs du professeur Cloutier de décrire l’ensemble de son anatomie. « Nous avons été en mesure de faire une analyse sur la phylogénie, c’est-à-dire de déterminer la place qu’il occupe dans l’arbre du vivant, entre les poissons et les tétrapodes », explique le professeur Cloutier. « Nos recherches démontrent qu’il s’agit du dernier poisson avant les tétrapodes. »
Ainsi, ce spécimen trouvé au Parc national de Miguasha est celui qui partage le plus de caractéristiques avec les premiers tétrapodes, soit des animaux dont le squelette comporte deux paires de membres et qui respirent l’oxygène de l’air avec des poumons. « Quand on observe son anatomie, on voit des caractéristiques de poissons et d’autres qui sont très proches des tétrapodes. Dans l’évolution des vertébrés, la transition entre les poissons et les tétrapodes est l’une des plus grandes dans l’histoire de la vie. Avant les tétrapodes, tous les vertébrés étaient exclusivement dans le milieu aquatique. Il n’y avait pas encore d’amphibien, de reptile, d’oiseau et de mammifère », précise le paléontologue de l’UQAR.
La conquête du milieu terrestre débute ainsi avec l’Elpistostege watsoni. La reconstitution numérique du spécimen a permis d’établir que l’intérieur de sa nageoire pectorale ressemble à la patte avant, ou bras, des tétrapodes. Un humérus, un radius et un cubitus sont en formation dans la nageoire de cet Elpistostege fossilisé qui date de 380 millions d’années.
Une démarche scientifique complexe
Les recherches sur l’Elpistostege watsoni ont nécessité autant de patience que de minutie. La préparation mécanique du fossile – une opération visant à enlever la pierre autour du fossile – a nécessité quelque 2200 heures. Ce travail a été réalisé avec doigté par le technicien Jason Willett à l’aide d’un burin pneumatique. « Cette étape ressemble un peu à la restauration d’un vieux tableau. Il y a par contre une différence majeure : on ne sait pas à quoi ressemble le fossile ! Donc, c’est un travail très complexe et très long », indique M. Cloutier. Le fossile était d’ailleurs fracturé en une vingtaine de morceaux lorsqu’il a été trouvé.
Afin d’avoir une idée plus précise du fossile, ce dernier a été acheminé à un laboratoire d’Austin, au Texas, afin de réaliser un CT-SCAN (tomodensitométrie axiale). Détentrice d’une maîtrise en gestion de la faune et de ses habitats, Isabelle Béchard a assisté le professeur Cloutier dans ses recherches pendant une année. Elle a d’ailleurs accompagné l’Elpistostege watsoni lors de son séjour aux États-Unis et travaillé à sa reconstitution numérique. « Le CT-SCAN a permis de tirer, avec des rayons X, des milliers d’images de chacun des morceaux du fossile. C’est un casse-tête énorme », note Richard Cloutier.
La reconstitution numérique réalisée par Mme Béchard a permis d’avoir une image externe de l’Elpistostege avant sa préparation mécanique, mais également une vue interne du poisson. « Nous avons tout recodé l’animal et cela nous a permis de déterminer sa position phylogénétique. Ces travaux en imagerie numérique ont été réalisés au Centre de recherche et de développement de l’imagerie numérique (CDRIN) à Matane. Isabelle Béchard a d’ailleurs été engagée comme directrice scientifique du CDRIN après l’année où elle a travaillé sur l’Elpistostege watsoni », ajoute le professeur Cloutier.
L’Elpistostege watsoni a été la vedette du dernier congrès de la Society of Vertebrate Paleontology de Los Angeles, en octobre dernier. Les paléontologues en ont encore pour plusieurs années pour tirer tous ses secrets. « Il est aussi important pour la science que l’archéoptéryx ou le fossile de Lucy », conclut le professeur Cloutier. Appartenant au Parc national de Miguasha, le fossile de l’Elpistostege watsoni y sera exposé à partir de la saison 2014.
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