Originaire du Bic, le diplômé en génie des systèmes électromécaniques (2007), Luc Lévesque, est un passionné du domaine ferroviaire. À la fin de son baccalauréat, il quitte son coin de pays pour la Côte-Nord afin de travailler pour Mines Wabush et plus particulièrement sur le Chemin de fer Arnaud jusqu’en 2012. Après un bref passage en usine, qui lui permet de comprendre que ce travail n’est pas fait pour lui, il entreprend une nouvelle carrière au sein de la Société du chemin de fer de la Gaspésie, organisme paramunicipal à but non lucratif, qui assure l’exploitation d’un tronçon de 325 kilomètres entre Matapédia et Gaspé.
La Société du chemin de fer de la Gaspésie est responsable de la gestion et de l’exploitation des trains, du développement des affaires, de l’entretien régulier de la voie ferrée, en plus de piloter le volet de la sécurité ferroviaire. Rencontre avec celui qui en est le directeur général depuis 2014, monsieur Luc Lévesque.
À qui appartient le chemin de fer en Gaspésie?
La voie ferrée appartient au Gouvernement du Québec, ce qui facilite les investissements très importants à faire en vue de sa réhabilitation. Nous sommes à contrat pour faire fonctionner tout cela et, en ce qui concerne les travaux majeurs comme, par exemple, la construction de plusieurs ponts à rebâtir, c’est le ministère des Transports du Québec qui s’en occupe. L’échéancier de ce vaste chantier s’échelonne jusqu’en 2025 et tout se déroule très bien jusqu’à maintenant.
De nombreux propriétaires au fil du temps et un train pratiquement vide…
Le tronçon appartenait autrefois au Canadien National (CN) en partie et à la Corporation des chemins de fer qui avait été créée en 1997 par l’acquisition du tronçon Chandler-Gaspé. En 2007, le CN, qui avait décidé de tout racheter, n’était plus intéressé par le tronçon en Gaspésie. À ce moment-là, il n’y avait pratiquement plus de trafic ferroviaire en Gaspésie, suite à une baisse de plus de 85 % liée à la fermeture de la Mine Gaspé en 1999, de la Gaspésia de Chandler en 2000 et de la Smurfit-Stone à New Richmond en 2005. Une véritable hécatombe, le trafic ferroviaire passant de plus de 7 000 à 8 000 wagons annuellement en 1999 à moins de 500 en 2007. Le maintien des opérations était alors tout simplement injustifiable. Pour rentabiliser un chemin de fer privé, environ 5 000 wagons doivent circuler par année. La Corporation a donc choisi de reprendre le contrôle du tronçon afin de tenter de le développer à nouveau.
Depuis votre arrivée à la direction en 2014, la croissance est au rendez-vous…
Lorsque j’ai obtenu le poste de direction en 2014, suite à la décision du syndic de faillite, nous n’étions que 7 employées et employés. Aujourd’hui, notre organisation en regroupe 35. Le chiffre d’affaires mensuel d’aujourd’hui représente davantage que le chiffre annuel d’affaires en 2014! Une augmentation de près de 700 %.
N’étant pas une entreprise privée, tous nos profits sont aujourd’hui réinvestis sur le rail et environ 1 000 emplois en Gaspésie sont tributaires directement ou indirectement du chemin de fer comme principal moyen de transport pour exporter la production.
Et l’impact de la COVID-19 pour votre organisation?
Avec une certaine fierté, nous sommes une des seules lignes ferroviaires de l’Est-du-Québec qui n’a pas diminué ses opérations malgré la COVID et le volume de la Gaspésie a grandement contribué à la reprise graduelle des activités du CN et la consolidation de ses activités dans les régions de la Gaspésie et du Bas-Saint-Laurent. À la fin de 2020, nous espérons atteindre un volume de près de 5 000 wagons de marchandise.
Le Gouvernement du Québec a décidé de réhabiliter le réseau ferroviaire de la Gaspésie. Est-ce important pour votre organisation?
C’est l’avenir de l’opération qui est là! Environ les trois quarts de la marchandise que l’on sort par chemin de fer sont transbordés par camions jusqu’à notre terminal actuel de New Richmond. La voie ferrée entre New Richmond et Gaspé n’est pas opérationnelle encore, mais nos clients sont là-bas. Nous avons 7 remorques qui transbordent du ciment, 24 heures par jour, entre l’usine de cimenterie McInnis et les sites de transbordement de Nouvelle et de New Richmond. Cette étape représente plusieurs millions de dollars d’investissements pour notre organisation annuellement. Il y a aussi les pales d’éoliennes qui doivent faire le trajet de Gaspé à New Richmond par camions avant d’être transbordées sur nos trains.
Une fois le rail réhabilité, la qualité du service offert nous permettra d’aller chercher de nouveaux volumes pour améliorer notre chiffre d’affaires en attirant de nouveaux clients. Le transbordement est un gros frein au développement à cause des coûts très importants. Plusieurs entreprises ont besoin du chemin de fer pour s’implanter et se développer. Cet impact négatif est en voie de se résorber graduellement grâce à l’amélioration du réseau ferroviaire, un immense chantier de plus de 250 000 000 $ jusqu’à maintenant. La volonté gouvernementale de réaliser le projet est indiscutable. J’ai même eu la chance d’accueillir le premier ministre du Québec, monsieur François Legault, et le ministre des Transports, monsieur François Bonardel, à nos bureaux de New Richmond. Je n’avais jamais vu cela avant!
À titre d’exemple, nos trains roulent actuellement sur les plus vieux ponts de la Gaspésie, ceux de la rivière Grande Cascapédia, ponts construits entre 1870 et 1880. Ils n’ont pas la capacité de supporter les charges des trains d’aujourd’hui, nettement plus lourdes qu’à l’époque. Dès 1900, la technologie avait cependant beaucoup évolué améliorant d’autant la capacité portante des structures; c ’est pourquoi nous devons actuellement alléger nos trains à New Richmond pour les recharger à Nouvelle. Heureusement, deux nouvelles structures seront opérationnelles au printemps 2021 pour régler cette fâcheuse et très coûteuse situation.
Constamment en mode solutions!
Ce n’est pas pour rien que plusieurs partenaires du domaine ferroviaire soulignent parfois la grande complexité du maintien de nos opérations en Gaspésie pour aller chercher du volume dans un pareil contexte où le relief est assez particulier. Nous sommes constamment en mode solutions et c’est comme cela que nous développons notre organisation. Grâce à ma formation à l’UQAR et à mon expertise développée à Mines Wabush sur la Côte-Nord où j’avais la chance de travailler sur plusieurs aspects du chemin de fer comme l’ingénierie, l’entretien du rail et la mécanique des locomotives, j’ai pu débuter dans cette industrie en travaillant avec des machines électriques et/ou mécaniques tout en comprenant le langage technique de mes employés, fournisseurs et sous-traitants!
L’UQAR a choisi d’offrir un baccalauréat en génie civil à l’UQAR depuis 2018. Une bonne nouvelle pour une organisation comme la vôtre selon vous?
C’est une excellente nouvelle! Je constate le besoin sur le terrain. Récemment, lors d’une rencontre de travail, le directeur régional du ministère des Transports soulignait la venue de diplômés de l’UQAR en génie civil sur le terrain avec grande satisfaction. Au sein de notre organisation, nous sommes seulement deux ingénieurs avec une formation mécanique et électromécanique.
Très peu de gens de génie civil vivent ici en région alors qu’il y a du travail dans ce domaine. On espère que les gens formés à Rimouski vont vouloir demeurer avec nous.
De votre passage à l’UQAR, que retenez-vous?
Si c’était à refaire, je le ferais assurément. Notre petite cohorte a permis de tisser des liens beaucoup plus facilement que dans les grandes universités. J’ai encore des contacts développés à l’UQAR aujourd’hui. J’ai eu la chance d’avoir un enseignement de proximité, ce qui n’est pas vraiment la norme ailleurs. Le professeur Jean Brousseau était très inspirant pour nous, car il a commencé à l’époque comme machiniste avant de devenir professeur. J’ai été moi-même mécanicien diésel durant une dizaine d’années. Ce bagage de connaissances a été très utile avant d’embarquer dans la théorie plus poussée. Monsieur Brousseau était hautement reconnu et apprécié par les étudiantes et étudiants de notre cohorte, car il était toujours disponible pour nous aider et pour répondre à nos innombrables questions.
En terminant…
Le chemin de fer est un domaine fort méconnu au Québec et j’ai aujourd’hui la chance de travailler dans un secteur passionnant. Comme je le mentionne à ceux que j’embauche, c’est pratiquement impossible de s’en passer une fois à l’intérieur de cette industrie. L’avenir s’annonce fort prometteur ici en Gaspésie!
Pour nous soumettre une nouvelle : communications@uqar.ca