Dans le cadre de sa thèse de doctorat en biologie, Kaven Dionne s’intéresse à la coexistence des espèces semblables. Pour ce faire, il a ratissé plus d’une centaine de lacs au Bas-Saint-Laurent pour récolter des amphipodes, des petits crustacés aussi appelés crevettes d’eau douce.
En écologie, le principe de l’exclusion compétitive sous-entend que deux espèces ne peuvent partager indéfiniment la même niche écologique (conditions nécessaires à leur survie, comme la présence de nourriture), car la plus compétitive des deux espèces finit à plus ou moins long terme par éliminer l’autre du milieu. Pour occuper des niches écologiques différentes, les espèces développent souvent au fil de l’évolution des morphologies différentes leur permettant de se spécialiser. Or, certaines espèces partagent tout de même des morphologies similaires au point d’être confondues entre elles.
« Il y a 20 ans, les écologistes croyaient que les amphipodes du complexe Hyalella azteca étaient une seule espèce présente dans les lacs de toute l’Amérique du Nord, puisque tous les spécimens ont pratiquement la même morphologie. Depuis, les tests génétiques se sont développés et plus de 35 espèces différentes sont maintenant répertoriées sur le continent nord-américain, certaines d’entre elles étant même retrouvées ensemble », souligne Kaven Dionne. Ces espèces sont qualifiées de cryptiques, c’est-à-dire qu’elles partagent une morphologie similaire, mais qu’elles sont distinguables génétiquement. Le code-barre génétique permet d’identifier de telles espèces, mais aussi de comprendre comment elles évoluent ensemble dans leur milieu.
L’étudiant au doctorat a échantillonné des amphipodes dans plus de 100 lacs au Bas-Saint-Laurent. « Jusqu’à maintenant, nous avons identifié 5 espèces différentes, grâce aux tests génétiques. Nous avons de plus observé la composition des tissus des animaux pour identifier leurs sources de nourriture potentielles. Ainsi, nous voulons vérifier si ces espèces exploitent des ressources alimentaires différentes malgré leurs morphologies très semblables», ajoute le chercheur.
M. Dionne effectue ses analyses en laboratoire au Centre d’appui à l’innovation par la recherche (CAIR) de l’UQAR, dont la mission est de stimuler les projets de recherche et d’innovation en partenariat pour le bénéfice économique et technologique des régions desservies par l’UQAR. Parmi les secteurs qui pourraient bénéficier de ses recherches, on retrouve l’aquaculture. « Actuellement, les poissons élevés en aquaculture sont surtout nourris avec de la moulée préparée à partir d’autres poissons, souvent même à partir d’espèces que les humains pourraient consommer. Plusieurs chercheurs pensent que des invertébrés comme les amphipodes, des proies naturelles chez plusieurs poissons d’élevage, pourraient constituer des sources alimentaires alternatives,à moindre coût. Il est donc important de bien comprendre comment fonctionnent ces espèces en nature si nous voulons explorer ces possibilités», remarque le biologiste.
La thèse de M. Dionne est réalisée sous la direction du professeur en écologie des communautés et des écosystèmes aquatiques Christian Nozais, dont l’expertise couvre notamment l’alimentation des amphipodes. Le doctorant est aussi codirigé par la professeure en écologie moléculaire France Dufresne, qui est membre du projet « code-barre » génétique, dont l’objectif est de constituer une base de données qui regroupera les code-barres d’ADN de plus de 10 000 espèces canadiennes (animaux et plantes). Le Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écologie des écosystèmes continentaux, Dominique Gravel, fournit également son expertise sur l’aspect de la répartition des différentes espèces à travers le territoire.
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