Le nombre de démissions au sein des conseils municipaux a atteint de nouveaux sommets au Québec. Près d’un poste sur dix a été délaissé depuis les dernières élections municipales. Une équipe en développement régional et territorial a réalisé une recherche pour identifier les causes de cette désaffection qui touche particulièrement les petites municipalités et proposer des pistes pour mieux y soutenir la gouvernance municipale.
En date du 31 décembre 2023, 762 postes d’élues et d’élus municipaux avaient été abandonnés depuis les élections de novembre 2021, selon des données d’Élections Québec. En outre, le nombre de démissions dans la première moitié du présent mandat a bondi de 41 %. Bien qu’elles ne représentent que 42 % des municipalités québécoises, les municipalités de moins de 1000 habitants comptaient 61 % des postes délaissés par les élues et les élus.
Dans le cadre de travaux menés par le Groupe de recherche interdisciplinaire sur le développement régional, de l’Est du Québec (GRIDEQ), une équipe dirigée par la professeure Nathalie Lewis et le professeur Yann Fournis s’est penchée sur les raisons qui mènent les élues et les élus du Bas-Saint-Laurent à quitter leurs fonctions avant la fin de leur mandat. Plus d’une centaine de personnes élues ou œuvrant en gouvernance municipale ont pris part à des entretiens ou répondu à des sondages permettant de mieux comprendre les réalités des municipalités de la région.
L’un des premiers constats de l’équipe de recherche est la complexité de la fonction d’élu municipal. « Le métier d’élu local est à part dans le spectre politique. Il est marqué par le double impératif de la pertinence et de la proximité. Ainsi, leur action est soumise à un pragmatisme qui allie légitimité politique et efficacité administrative, et à la nécessité d’offrir une représentation appropriée de sa communauté et respectueuse des relations locales et territoriales inhérentes à sa MRC. Les personnes élues se retrouvent ainsi au cœur d’un jeu de double fidélité où elles doivent à la fois incarner les figures opposées d’entrepreneur municipal et de leader communautaire », explique le professeur Fournis.
Au quotidien, les élues et les élus municipaux font de plus en plus face à des situations stressantes dues à leur proximité avec les citoyennes et les citoyens, dont le harcèlement, l’intimidation et la sursollicitation. « De façon générale, il y a un manque de connaissance du rôle et du pouvoir d’action des élues et des élus. Cette ignorance engendre des blocages. La pression et les tensions qui peuvent survenir avec la population sont des facteurs de désengagement important selon nos études et elles sont encore plus fortes dans les petites municipalités », indique la professeure Lewis.
Plus de 60 % des personnes élues ayant participé aux études occupent un emploi en plus de leur fonction. Pour la majorité, il s’agit d’un travail à temps plein. « La difficile conciliation entre la fonction politique et la vie professionnelle est aussi un des principaux facteurs de désengagement, particulièrement pour les mairesses et les maires qui souvent ne peuvent vivre que du salaire de la fonction. Ces postes sont exigeants et la rémunération ne permet pas d’y arriver avec ce seul salaire qui est en deçà des responsabilités liées à la fonction », ajoute la professeure Lewis.
Si la volonté de changer les choses est au cœur de l’engagement de bien des élues et des élus, la lourdeur administrative qui ralentit l’avancement de projets a des conséquences directes sur leur motivation. « Plusieurs ont exprimé une démotivation en raison du manque de moyens financiers, de la complexité des enjeux à traiter et du cadre juridique qui ne permettent pas de faire avancer rapidement certains dossiers. En revanche, les réseaux sociaux les confrontent à une instantanéité qui fait en sorte qu’ils sont souvent interpellés sur des dossiers municipaux qui prennent du temps. C’est une réalité paradoxale qui n’est pas évidente pour eux », observe le professeur Fournis.
Des pistes de solutions
Diverses pistes sont proposées par l’équipe de recherche afin de mieux soutenir les personnes qui s’impliquent en gouvernance municipale. En plus d’une meilleure connaissance du rôle des élues et des élus auprès de la population, une formation initiale devrait être offerte aux personnes qui souhaitent se faire élire dans leur municipalité ainsi qu’à celles qui remportent les suffrages.
Par ailleurs, l’équipe de recherche considère essentiel de s’attaquer à l’intimidation, de favoriser la conciliation travail-famille et de bonifier la rémunération des élues et des élus pour assurer une relève en politique municipale. Sur le plan administratif, elle encourage l’utilisation de ressources collectives entre les municipalités et la mutualisation de services.
« La politique municipale est au cœur de la vie citoyenne au Québec. Il est important d’améliorer dès maintenant les conditions dans lesquelles elle est exercée et de favoriser une participation constructive de la population afin de soutenir les élues et les élus », conclut la professeure Nathalie Lewis. Dirigée par le professeur Yann Fournis et la professeure Lewis, l’équipe de recherche comptait également la candidate au doctorat en développement régional et territorial Amélie Dumarcher et Émilie Gaudreau Lavoie, du centre collégial de transfert de technologie ÉCOBES.
Pour nous soumettre une nouvelle : communications@uqar.ca