La philosophie et la mort, par Fernande Fournier

La mort est une inconnue car on ne peut en faire l’expérience qu’une seule fois, et il est alors trop tard.  L’être humain se sait mortel, il peut anticiper sa propre mort, contrairement à l’animal qui peut seulement, à l’approche de la mort, sentir qu’il va mourir. 

Jean-Claude Simard

C’est ainsi que, dans le cadre des conférences conjointes ADAUQAR et ARRUQAR de l’automne 2016, le philosophe retraité Jean-Claude Simard introduisait, le 23 septembre, sa conférence intitulée La philosophie et la mort.

Selon lui, notre conception de la mort dépend surtout de nos valeurs et de nos croyances.

Dans la religion chrétienne, par exemple, les rituels et les nombreuses cérémonies soulignent les grandes étapes de la vie. Trois croyances centrales guident ces actes : l’existence d’un être suprême, d’une âme (principe de vie) et d’une vie après la mort.  Pour cette religion, la résurrection des corps et le jugement dernier constituent d’importants actes de foi liés à la mort. 

Avec la baisse de la croyance religieuse, on assiste dans la société à une évolution des rituels, des valeurs et des croyances. Cette conception collective change les mœurs et se traduit de plusieurs façons.  À titre d’exemples, mentionnons le multiculturalisme religieux, le sort réservé au patrimoine religieux et le phénomène grandissant de la crémation.

Évidemment, nos positions sur ces questions varieront selon qu’on est catholique, croyant non traditionnel ou athée. Et ici, la science ne peut nous aider, car ce n’est pas son rôle de répondre aux interrogations fondamentales. Or, le caractère inéluctable de la mort pose justement trois questions existentielles particulièrement aiguës : la finalité de l’acte médical, la signification de la mort et, enfin, la valeur de la vie et son caractère potentiellement sacré.

Il se trouve que les nouvelles lois (provinciale et fédérale) sur les soins de fin de vie touchent directement ces trois questions.  Elles autorisent en effet l’aide médicale à mourir (AMM) : selon quels principes et au nom de quoi peut-on donner la mort ?

Pour aborder ces questions exigeantes, le conférencier a proposé d’utiliser l’attitude philosophique. Selon lui, elle implique d’abord empathie et respect des personnes. Elle doit également être dépassionnée. Mais une attitude respectueuse et dépassionnée n’exclut nullement le bon sens et le jugement critique et c’est en appliquant ces préceptes qu’il a proposé d’analyser les deux nouvelles lois.

Habituellement, une loi sanctionne l’évolution des mœurs et entérine un consensus social.

Déjà, en 2001, un sondage montrait que 57 % des Canadiens et 78 % des Québécois étaient favorables à une forme d’euthanasie. Le consensus de la population était donc assez large. Sans compter le fait que certaines personnes souffrant de maladies dégénératives, devant l’absence d’autorisation légale au Canada, avaient choisi de se rendre dans d’autres pays pour obtenir l’AMM, un tourisme de la mort qui avait alors suscité beaucoup d’indignation au Québec.

La loi provinciale 52 a en conséquence décriminalisé l’euthanasie active, qui consiste à provoquer intentionnellement la mort.  Elle le fait en s’appuyant sur six balises : la maladie doit être grave, incurable et causer des souffrances intolérables, la personne doit être majeure et apte à consentir aux soins, elle doit exprimer elle-même la demande, librement et en connaissance de cause (décision libre et éclairée), elle doit donner son consentement par écrit deux fois, et le faire en outre devant au moins un témoin ; enfin, l’acte doit être administré par un médecin.

Parmi les arguments défavorables, l’AMM suscitait d’abord des inquiétudes chez les personnes âgées, qui craignaient un dérapage et le risque d’être euthanasiées contre leur gré. Étant donné les balises sévères encadrant la loi, cela ne s’est pas produit. De plus, l’AMM est peu compatible avec le serment d’Hippocrate, dont l’objectif est la guérison des personnes malades et non leur mort. Pour respecter la finalité de l’acte médical, la loi prévoit que l’institution financée publiquement doit assurer le service d’euthanasie active, mais qu’on ne peut pas forcer un médecin à l’administrer personnellement. Selon ses valeurs ou ses croyances, le médecin peut ainsi devenir, en quelque sorte, un objecteur de conscience et, depuis l’adoption de la loi à la fin de l’année 2015, certains d’entre eux ont d’ailleurs refusé de l’appliquer et incitent à la prudence.

Parmi les arguments favorables à l’AMM, il faut citer d’abord la liberté du patient. Ici, il faut rappeler la logique qui anime les trois questions philosophiques fondamentales entourant la signification de la mort et, par le fait même, le sens de la vie : l’origine de l’homme (d’où venons-nous?), sa destinée (où allons-nous?) et sa nature (qui sommes-nous?). Selon nos valeurs ou nos croyances, on apportera des réponses différentes à ces questions. En donnant au patient un pouvoir sur sa vie et en stipulant que la  décision d’y mettre éventuellement fin lui revient, la loi a clairement pris position et exclu une position religieuse faisant relever la vie de Dieu seul : chacun est maître de sa vie. Cette autonomie prend en compte une autre valeur : la dignité de la personne. Parmi les autres arguments favorables, on peut aussi relever le fait que la loi voulait éviter la possibilité d’euthanasie clandestine en la décriminalisant, pour la personne qui n’a plus de qualité de vie ni d’espoir.

Pour sa part, la loi fédérale C-14, postérieure, a décriminalisé le suicide assisté, c’est-à-dire le fait d’aider quelqu’un à se donner la mort. La Cour suprême avait avancé comme argument que le fait de ne pas l’autoriser aurait porté atteinte à la dignité de la personne en fin de vie et aurait donc été discriminatoire en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Puisqu’une loi fédérale a préséance sur la législation des provinces, le Québec a dû ajuster sa loi 52 en juillet dernier.

En définitive, les deux formes d’aide médicale à mourir, qu’on parle d’euthanasie active ou de suicide assisté, prennent pour acquis que la vie appartient aux individus. On donne le droit à chaque être humain de décider par lui-même de sa sortie, en tenant compte, évidemment, des balises légales.

En terminant, Jean-Claude Simard a rappelé une dernière fois le mystérieux extrait de Hamlet, par lequel il avait ouvert son allocution : « La mort, (…) cette contrée inexplorée d’où nul voyageur ne revient. » 

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