« La mer est un grand poème », Arthur Rimbaud
L’historien Gaston Desjardins, qui a été professeur d’histoire à l’UQAR pendant une vingtaine d’années, a présenté le 4 octobre 2016 sa conférence intitulée : Le Saint-Laurent de la mer : l’imaginaire, les fantômes et la mort.
Le conférencier nous a conviés à une promenade dans l’imaginaire maritime, depuis l’héritage des sociétés européennes jusqu’aux rives du Saint-Laurent. Pour lui, la mer est une grande étendue d’histoire car il existe une relation affective entre l’être humain et le milieu maritime. Sur cette mer, on rencontre des fantômes : êtres mystérieux, lieux et choses qui hantent la mémoire.
Socrate dira qu’il y a trois catégories d’êtres humains : les vivants, les morts et ceux qui vont sur la mer. Dans cet espace liquide de la démesure qu’est la mer, le marin est perçu comme un être étrange.
Il suffit de s’incarner dans la mentalité des gens de l’Antiquité et de se laisser porter par l’imaginaire pour entrevoir des images répulsives que provoque la mer. Pour faire face à la colère des dieux et pour exorciser les tempêtes, les anciens avaient recours à des éléments religieux. De même, lorsque le calme plat survenait sur la mer, que les voiles ne fonctionnaient plus et qu’on craignait de manquer de vivres, on invoquait les puissances d’en haut. On croyait même que siffler légèrement, identifier un cocu notoire et lui frotter la tête au gouvernail ou encore, battre le mousse, cela pouvait réactiver le vent…
À cette époque, le mouvement des marées, les ouragans ou les raz-de-marée demeuraient des forces naturelles colossales et inexpliquables. À cela s’ajoutaient de nombreux récits mystico-religieux (Noé et le déluge, etc.). Selon la bible, un conflit originel subsistait entre la terre et l’eau.
Parallèlement à cette grande menace, la mer était vue comme un grand bienfait. On profitait de ses ressources généreuses, de ses paysages impressionnants et des occasions de voyages qu’elle proposait. On faisait des offrandes à la mer, on la personnifiait. Un rapport ambivalent de fascination mêlée à de l’effroi constituait la trame de fond de cet univers.
À la fin du Moyen Âge, pour les navigateurs européens, l’Atlantique apparaît comme le domaine foisonnant des îles et des espaces mystérieux. Des îles, les navigateurs en rencontrent partout. Peu à peu le vide de l’océan se voit parsemé d’îles. En 1498, quand Christophe Colomb débarque au Venezuela, il compare la rondeur des collines au mamelon du sein d’une femme. D’ailleurs, plusieurs îles portent des noms évocateurs : l’île du Paradis, l’île des Morts, l’île du repos des Âmes, etc. Ces îles sont des relais mythiques.
Les grands explorateurs (Cartier, Roberval, Chauvin, Champlain) sont rapidement confrontés au pays du froid. Rabelais (1558) décrira le pays de Haulte-mer comme suit : « il y fait si froid que le cri des hommes, les pleurs, le hennissement des chevaux gèlent en plein air et retombent sur le sol. Au printemps, ça fond… et on peut entendre des paroles fraîchement dégelées qui se promènent un peu partout dans l’air. »
Une autre histoire relatée en Nouvelle-France autour de 1558 nous vient de Marguerite de Navarre. « La nièce du célèbre voyageur Roberval, Marguerite, s’est engagée dans une idylle peu convenable avec un des membres de l’expédition. Roberval eut vent de l’affaire. Ces amours inconvenantes justifiaient à ses yeux un châtiment sévère. Marguerite fut débarquée sur un rocher désert, l’île aux Démons, avec son amant et sa vieille servante. Après la mort de son amant, de sa servante puis de l’enfant né de cet amour illégitime, Marguerite dut lutter contre les forces naturelles et surnaturelles qui l’assaillaient sans relâche. »
Plus près de nous, la genèse des îles du Saint-Laurent prend sa source dans la légende du Diable et du Bon Dieu. « Le Diable et le Bon Dieu étaient assis sur le Cap Diamant. En ce temps-là, tout était emmêlé. Dieu demanda au Diable d’aménager le fleuve Saint-Laurent et ses rives. Le diable se mit à l’ouvrage. Il creusa le fleuve, dispersa les caps, les rochers, les falaises, les plages. Une fois son œuvre achevée, il la regarda et en fut si fier qu’il défia Dieu d’en faire autant. Dieu s’en offusqua et déchaîna une tempête si épouvantable que le diable, pris d’une horrible frayeur, s’enfuit en courant vers la mer. Sous chacun de ses pas surgissait une île. C’est ainsi que naquirent les îles du Saint-Laurent. »
Selon Gaston Desjardins, la légende est une mise en fiction du monde. Elle est porteuse de mémoire et d’un héritage culturel issu de diverses communautés d’origine.
L’espace maritime québécois a toujours été propice aux manifestations d’un monde insolite : fées, sirènes, fantômes, esprits, etc. Pour les gens de l’époque, la mort est intimement liée au quotidien. C’est une fatalité oppressante. Selon la croyance, les naufragés errent éternellement sur les mers et le long des côtes.
Les rites et les croyances du XIXe siècle sont imprégnés du catholicisme. Pour éloigner le mauvais sort en mer, on utilise des chapelets, des crucifix, des chandelles. De plus, on évite de siffler et de sacrer…
Notre promenade dans l’imaginaire maritime s’achève ici. Si vous voulez continuer cette promenade, vous pouvez lire le livre de M. Gaston Desjardins, « La mer aux histoires », paru en 2007.
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