Le système capitaliste détermine aujourd’hui l’essentiel de nos existences. Comment une transformation aussi radicale de l’économie et de la société a-t-elle été possible en quelques siècles seulement ?
Cette question a donné lieu à une conférence prononcée le 22 février 2019 par Monsieur Benoît Beaucage, professeur retraité de l’UQAR et historien de l’économie rurale en Provence à la fin du Moyen Âge.
Karl Marx, philosophe allemand du XIXe siècle, a écrit un livre fondamental sur le capitalisme qu’il a intitulé Le Capital, mais il avait été précédé par Adam Smith (philosophe écossais) qui avait publié en 1776 Recherches sur les causes de la richesse des nations.
Le capitalisme est basé sur le principe d’accumulation continue du capital. Il implique la circulation de matières premières et de produits fabriqués. Il implique le goût du risque et du profit.
Le conférencier s’est intéressé aux principales étapes de mutation vers un système capitaliste : celle de l’industrie drapière de Flandre au XIIIe siècle, celle de la première économie-monde au XVIe siècle, celle de la voie anglaise aux XVIIe– XVIIIe siècles et celle de la conquête de l’Europe au XIXe siècle.
L’industrie drapière de Flandre au XIIIe siècle
Avant le XIIIe siècle, la draperie flamande se faisait de façon artisanale en milieu rural. Au milieu du XIIIe siècle, on assiste à la division du travail et à la spécialisation des opérations. Plusieurs paysans du milieu rural (des hommes, des femmes et des enfants) se déplacent vers la ville. Ils deviennent des salariés. Cette spécialisation du travail permet à un petit nombre de détenteurs de capitaux, tel Jean Boinebroke* à Douai, de dominer l’ensemble de la production. Ces entrepreneurs drapiers tendent à contrôler toute la chaîne de production, accaparant aussi le pouvoir urbain par l’intermédiaire de l’échevinage. Jean Boinebroke a occupé neuf fois le poste d’échevin. Ses pratiques commerciales sont douteuses. Ce marchand drapier exploite des salariés précaires du textile. Il pratique le prêt à intérêts. Il fixe lui-même les montants des sommes qui lui sont dues. Il utilise la force par ses hommes de main. Il paie peu, pas du tout ou mal. Il n’a aucun sens moral. De plus, comme le pouvoir royal est très peu contraignant, la concentration des pouvoirs est dans les mains des mêmes personnes : les riches bourgeois des villes.
Création de la première économie-monde au XVIe siècle
En 1492, Christophe Colomb découvre le Nouveau-Monde. En avril 1500, Alvares Cabral, navigateur portugais, découvre le Brésil. En 1519-1521, le conquistador espagnol Cortes détruit l’empire aztèque du Mexique et s’empare de beaucoup d’or et d’argent. De 1531 à 1534, un autre conquistador, Pizarro, s’empare de l’empire inca du Pérou et y met la main sur d’immenses richesses.
À partir du XVIe siècle, un important commerce se met en place à travers l’Atlantique. Les Portugais importent des produits de leurs colonies américaines (Brésil, Antilles), mais aussi d’Afrique. Ils utilisent la caravelle un navire qui possède deux voiles, l’une carrée et l’autre triangulaire ainsi qu’un gouvernail d’étambot. Cette évolution technique permet la navigation en haute mer. Henri le navigateur, prince du Portugal, agit comme mécène auprès des navigateurs portugais.
Pour permettre de nombreuses importations vers les métropoles d’Europe, les grandes puissances (Portugal, Espagne) mettent en place un fructueux commerce triangulaire. Ils échangent des marchandises européennes en Afrique contre des esclaves noirs revendus aux propriétaires de plantation des Antilles.
La voie anglaise aux XVIIe– XVIIIe siècles
L’Angleterre est la première puissance à développer le capitalisme moderne. La révolution agricole britannique est avant tout une réorganisation à la hausse des méthodes de production. Des champs ouverts en pâturages communs cultivés par la communauté ont été convertis par de riches propriétaires fonciers (seigneurs) en pâturages privés pour leurs troupeaux de moutons, parce que le commerce de la laine est alors en expansion. Quant aux paysans expropriés, beaucoup d’entre eux se dirigent vers les villes, où se trouvent les nouvelles manufactures.
Les traités signés pendant cette période sont favorables à l’Angleterre : ainsi le traité d’Utrecht (1713) et celui de Paris (1763).
Plusieurs innovations technologiques augmentent aussi la production. Des inventions majeures sont introduites ou perfectionnées en Angleterre : machine à tisser incorporant une navette volante (1733), brevet de machine à vapeur (1763), machine à tisser mécanique (1785), etc.
La progression de la mécanisation réduit le nombre de travailleurs. Les effets sociaux se font sentir chez les travailleurs (horaire, chômage, rébellions, etc.) D’ailleurs en 1799, une loi est votée en Angleterre pour empêcher les ouvriers de se syndiquer.
Le capitalisme à la conquête de l’Europe au XIXe siècle
À la suite du blocus continental imposé au Royaume-Uni par l’empereur français Napoléon Bonaparte, les Britanniques accentuent leur puissance à l’international. La production nationale britannique reste forte. Les textiles et le fer ont fortement augmenté. En 1875, les trois quarts de la population active en Angleterre sont des salariés incluant des femmes et des enfants.
Il faut mentionner que de 1597 à 1930, une loi concernant les pauvres et les invalides donnait le droit aux villages et paroisses d’enfermer les démunis dans des ateliers où ils résidaient et où ils étaient exploités dans un cadre de travail forcé, les workhouses.
En France et en Angleterre, cette période est marquée par une urbanisation rapide et désordonnée, caractérisée par la création de vastes quartiers de taudis. L’exode rural provoque la paupérisation, un peu comme on en voit aujourd’hui dans les favelas brésiliennes.
Monsieur Beaucage termine sa conférence en montrant que dans la deuxième moitié du XIXe siècle, les organisations patronales et syndicales qui se font face en Angleterre et en France luttent jusqu’à nos jours autour de la question du partage éventuel de la richesse produite.
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* À propos de la compassion et du sens moral, la citation suivante a été écrite dans un recherche historique datant des années 1930 et elle portait sur Jehan Boinebroke, un grand marchand flamand exploiteur et sans scrupule qui a vécu dans les années 1200. Est-il possible d’y voir une ressemblance avec certaines personnalités contemporaines ???
« On chercherait vainement trace dans sa nature de la moindre qualité morale. Nous parlons, non même pas d’un sentiment noble et élevé, mais simplement de l’humanité la plus vulgaire, de la sensibilité la plus ordinaire : on se demande s’il a déjà éprouvé un sentiment de commisération, ressenti / un moment de bienveillance pour un semblable, si passagers que fussent ces sentiments. Hors de lui, il ne connaît rien : il représente en un mot l’égoïsme dans tout ce qu’il a de plus dur et de plus féroce, l’entraînant aux manifestations les plus inhumaines. Ramenant en effet tout à lui, ignorant tout en dehors de ses intérêts, rien ne saurait l’émouvoir ni le toucher que ce qui peut lui être utile et le desservir, rien ne doit être pour lui honnête ou malhonnête, mais tout n’est que profitable ou nuisible. Le moindre sens moral lui fait absolument défaut : pour assouvir ses désirs, le plus infime scrupule lui paraîtrait ridicule. Rien n’est plus inconnu et opposé à Boinebroke, non seulement la générosité, mais simplement la justice. » Georges Espinas, Les origines du capitalisme : sire Jehan Boinebroke, Lille, 1933, p. 195-196.
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