La préservation de la biodiversité est l’un des enjeux mondiaux qui préoccupent grandement les scientifiques des quatre coins du globe. Spécialiste de l’écologie benthique, le professeur Philippe Archambault a été choisi pour diriger un chapitre sur la biodiversité côtière marine, de participer aussi à deux chapitres additionnels, l’un pour la biodiversité de l’océan arctique et un autre sur les océans bordant le Canada dans un ouvrage de la Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), qui est chapeautée par l’Organisation des Nations Unies (ONU).

La question des changements climatiques occupe beaucoup d’espace médiatique depuis plusieurs années. Les rapports du GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, font d’ailleurs les manchettes à chacune de leur publication. Fondée en avril 2012 en tant que regroupement intergouvernemental indépendant réunissant des pays membres de l’ONU, l’IPBES se veut une sorte de pendant du GIEC en ce qui a trait aux enjeux de la biodiversité terrestre et marine.

Si plusieurs programmes de recherche sur les changements climatiques tendent à trouver des alternatives afin de s’y adapter, la biodiversité pose un problème d’un autre ordre. « On ne peut pas s’adapter à la disparition d’une espèce – tout dépendant de son rôle. L’attention a beaucoup été mise sur les grandes espèces vertébrées, comme les mammifères et les poissons. Mais sur notre planète, les vertébrés représentent moins de 1% de toutes les espèces », indique le professeur Archambault.

L’un des défis auxquels font face les scientifiques qui se spécialisent dans la biodiversité est d’ailleurs de sensibiliser la population à l’importance de la préservation des espèces, particulièrement les invertébrés. « Si on parle de l’ours polaire, qui fait partie du moins de 1 % de toutes les espèces, on parle d’un animal charismatique qui capte l’attention des gens. Or, si on parle, par exemple, de phytoplancton, les gens n’ont pas la même sensibilité. Pourtant, le phytoplancton joue un rôle crucial sur le plan de la biodiversité et aussi des changements climatiques», note l’océanographe de l’UQAR-ISMER.

Environ 71 % de la surface de la Terre est recouverte par des océans. Selon le World Register of Marine Species, il y a quelque 220 000 espèces décrites qui ont fait l’objet d’un consensus auprès de la communauté scientifique. « Pour une espèce décrite dans les océans, il en reste encore quatre à décrire », mentionne Philippe Archambault. L’Arctique est d’ailleurs un milieu présentant une grande variété sur le plan de la biodiversité marine contrairement à notre impression première. « Même s’il s’agit d’un milieu difficile et d’un milieu froid où il y a peu de lumière, on s’est rendu compte qu’il y a plus d’espèces phytoplanctoniques qu’il y en a dans les eaux canadiennes de l’Atlantique et du Pacifique », ajoute M. Archambault. Plus de 1000 espèces de phytoplanctons ont été décrites en Arctique, contre près de 630 en Atlantique et 480 dans le Pacifique.

Les travaux du professeur Archambault l’ont amené à participer au programme international Census of Marine Life qui s’est terminé en 2010. L’objectif était de faire avancer les connaissances scientifiques en matière de biodiversité marine et d’effectuer le premier recensement de celle-ci. M. Archambault a assuré la direction de l’inventaire canadien dans le cadre de ce programme. Son équipe a effectué un état de base de la biodiversité marine des océans au Canada et le réseau international était composé de plus de 3000 chercheurs provenant de 80 pays avec un financement a atteint les 650 M $.

Census of Marine Life a servi de tremplin à la mise sur pied d’un nouveau programme portant sur la biodiversité, Life in a Changing Ocean (LICO). Des 280 demandes soumises au Canadian Institute of Advanced Research, LICO fait partie des 7 groupes retenus pour leur potentiel de fournir un nouveau savoir dont bénéficiera l’humanité, selon le Dr. Lorne Tyrrell, ancien Doyen de la Faculté de Médecine de l’Alberta (“We believe that these seven have the potential to create transformative new knowledge that will benefit humanity”). Cette première étape de sélection donne accès à une première subvention qui permettra d’organiser des ateliers de travail avec 30 leaders mondiaux sur la biodiversité marine, dont le professeur de l’UQAR, Dominique Gravel.

La notoriété des travaux de Philippe Archambault l’a, en outre, amené à être l’un des dix scientifiques du monde à codiriger ce programme. « Le programme Life in a Changing Ocean nous permet de poursuivre sur la lancée de Census of Marine Life. Les recherches vont se concentrer sur plusieurs volets, soit i) définir les échelles écologiques, les unités, et la réponse de la diversité biologique dans les réseaux d'interactions entre les communautés supportant les fonctions des écosystèmes marins et les services et face à des perturbations, ii) de développer des modèles prédictifs pour étendre les résultats scientifiques d’un grand nombre de modèles écosystémiques pour développer et tester des modèles d'habitat, d'examiner la résilience et les seuils de résistance des habitats sensibles et souvent difficile d’accès, comme l'Arctique et les grandes profondeurs océaniques, et iii) de définir des indicateurs de stabilité et des services écosystémiques fournis par les organismes marins et les stratégies pour suivre la façon dont la recherche scientifique affecte l'évaluation économique de ces services.

Dans la foulée des travaux de l’IPBES, Philippe Archambault a été invité par l’ONU à faire partie d’un groupe d’experts qui vont se pencher sur les enjeux entourant la biodiversité. Ce groupe va analyser tous les documents qui vont être produits pour la Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques. « Il faut voir la biodiversité comme un ensemble, car tout est interrelié. Pour bien comprendre la biodiversité, il faut en connaître toutes les sphères. Il y a peut-être des espèces qu’on ne connaît pas et qui ont des rôles beaucoup plus importants qu’on le pense. Et si elles disparaissent, cela va avoir des conséquences majeures éventuellement sur les humains », conclut le professeur d’écologie marine.