Dans l’optique d’améliorer la santé de la population, les instances gouvernementales mettent en place des programmes pour remplacer les habitudes de vie posant un risque pour la santé par des comportements favorisant une meilleure santé. Ces programmes sont implantés à partir de données scientifiques dites probantes. Biologiste et étudiant à la maîtrise en éthique, Richy Sirois constate toutefois que ces données scientifiques ne sont pas toujours à la base des prises de décision de l’État lors de l’implantation de programmes de santé publique.

Les données probantes sont des données scientifiques faisant consensus et représentant assez fidèlement une réalité sur laquelle on puisse s’appuyer pour prendre des décisions. « En examinant plus attentivement les argumentaires mis de l’avant pour justifier les programmes de santé publique, il semble y avoir un conflit entre ce que dit la science et certaines valeurs, comme la liberté individuelle », explique M. Sirois.

Le chercheur cite l’exemple de la fluoration de l’eau potable, qui est appliquée massivement aux États-Unis et dans plusieurs provinces canadiennes. Au Québec, seules quelques municipalités ont adopté cette pratique, ce qui fait en sorte qu’une faible proportion de la population absorbe la quantité de fluorures recommandée par Santé Canada. Or, on constate que la prévalence de la carie dentaire est supérieure au Québec, par rapport aux autres provinces canadiennes et aux États-Unis, notamment chez les groupes défavorisés, pour qui l’accessibilité aux services de santé buccodentaire est limitée.

« Malgré les données probantes qui justifient d’appliquer la fluoration de l’eau potable à l’échelle provinciale, le gouvernement du Québec laisse aux municipalités cette décision. Pourtant, étant donné le volume important de preuves scientifiques à l’appui, on pourrait s’attendre à ce qu’il y ait une imposition de la fluoration de l’eau potable par le gouvernement provincial. Pourquoi cela n’est-il pas fait ? Vraisemblablement, la décision de laisser le choix de la fluoration aux municipalités n’est pas uniquement basé sur les meilleures connaissances disponibles. Elle est donc influencée par des éléments autres que les données probantes, comme la liberté de choix.

Sous la direction du professeur spécialiste de l’éthique de l’intervention en santé Bruno Leclerc, Richy Sirois analyse de façon particulière le programme de lutte au tabagisme et celui de prévention de l’obésité. Par l’étude des règlements et des lois adoptés, des documents officiels de communication, des arguments scientifiques avancés et des sources des données présentés, le biologiste observe deux niveaux d’intervention de l’État bien distincts.

« Le programme de lutte au tabagisme est très bien documenté depuis plus de 50 ans d’un point de vue scientifique. Il comprend plusieurs mesures restrictives, comme l’interdiction de fumer à moins de 9 mètres d’un établissement, dans une voiture avec de jeunes enfants et un projet est dans l’air d’étendre l’interdiction aux logements. À l’inverse, le programme de lutte à l’obésité est davantage axé sur la sensibilisation aux bonnes habitudes de vie, comme le Défi santé », compare-t-il.

« L’État a une attitude plus paternaliste face au problème du tabagisme. Pourtant, pour des problèmes de plus en plus coûteux pour le système de santé, il semble plus justifié de limiter les libertés individuelles des gens pour les faire cesser de fumer que pour prévenir l’obésité. Comme le surpoids peut être causé par plusieurs facteurs comme la sédentarité, l’alimentation, l’environnement ou la génétique, la liberté des individus est une valeur qui semble avoir plus de poids que les données probantes », souligne M. Sirois.

L’objectif des travaux de M. Sirois est de produire des recommandations quant à l’utilisation des données probantes et à la place de l’argumentation éthique en santé publique. « Pour arriver à des changements, parfois profonds, dans le mode de vie des individus, il est nécessaire de les convaincre du bien-fondé des recommandations et réglementations proposées. Il est donc pertinent de bien comprendre le rôle que jouent les valeurs individuelles non seulement sur la prise de décisions, mais également sur l’évaluation de la qualité, le choix et l’interprétation des données probantes », conclut le chercheur.