Le transfert des entreprises agricoles est un enjeu crucial au Québec. Alors que des milliers d’agriculteurs prendront leur retraite dans la prochaine décennie, moins du quart des entreprises agricoles ont défini une relève familiale. Étudiante en développement régional, Sabrina Longchamps s’intéresse à ces producteurs cédants, qui devront donc se tourner vers une relève qui n’est pas issue de leur famille s’ils souhaitent transférer leur entreprise agricole.

Selon le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ), 40 % des agriculteurs québécois ont 55 ans et plus, de sorte qu’ils seront tôt ou tard confrontés au défi de la relève. « Ma recherche vise à identifier, pour le territoire du Bas-Saint-Laurent, les facteurs qui favorisent le transfert de fermes laitières à une relève non familiale, de façon à répondre aux besoins des agriculteurs qui souhaitent céder leur ferme tout en facilitant l’établissement de la relève », explique Mme Longchamps.

 « Quand on parle d'une relève non apparentée, on ne parle pas nécessairement d'un citadin qui n'a jamais vu la campagne ! Dans bien des cas, cette relève est issue d’un milieu agricole, mais se trouve dans l'incapacité de reprendre l’entreprise familiale. Par exemple, plusieurs enfants d’agriculteurs cherchent à faire carrière dans le milieu, mais ne peuvent succéder à leurs parents, car d’autres enfants de leur famille ont repris l’entreprise familiale avant eux et il n’y a pas assez de place pour tout le monde. Inversement, certains agriculteurs sont prêts à transmettre leur ferme à quelqu'un hors de leur famille, pourvu que cette relève soit motivée et qu’elle maintienne l’entreprise en fonction », souligne-t-elle.

La relève agricole doit affronter des défis économiques d'envergure comme l’accès au financement, l’accès aux terres agricoles et la prise en charge d'une dette substantielle. Toutefois, peu d’études se sont intéressées aux facteurs sociaux et culturels dans le transfert des fermes familiales. Mme Longchamps a ainsi rencontré une demi-douzaine de producteurs laitiers bas-laurentiens de la relève agricole (âgés entre 18 et 39 ans et possédant au moins 50 % des parts d’une entreprise agricole) pour les interroger sur les facteurs qui ont favorisé leur établissement et les stratégies déployées pour surmonter les freins et contraintes.

L’étude révèle que les facteurs se rapportent à trois dimensions : personnelle (origine familiale et territoriale, formation, etc.), relationnelle ( soutien de la famille, présence d’un réseau d’aide, etc.) et entrepreneuriale (implication du cédant dans le financement, transfert de savoirs du cédant à la relève, désir des deux parties de concrétiser le transfert, etc.). « Les résultats démontrent que les relations développées par la relève et le cédant durant la période de transfert, même si elles occasionnent parfois des contraintes comme des conflits de générations ou de visions gestionnaires distinctes, semblent expliquer en partie le succès de l’établissement de la relève, notamment en raison des transferts de savoir-faire (savoirs pratiques et techniques liés à l’entreprise transmise), de savoir-être (relations d’affaires, contacts), de l’implication du cédant dans le financement de la relève et du désir marqué des deux parties de réaliser avec succès cette transaction », indique Mme Longchamps.

Les conclusions de cette recherche mettent en lumière des pistes pour favoriser l’établissement de la relève dans le cadre d’un transfert de ferme non apparenté. « Par exemple, conscientiser les cédants sans relève familiale à l’importance de transmettre leur entreprise agricole en fonction, conscientiser la relève aux possibilités d’établissement en agriculture ou encore promouvoir les différents programmes d’aide à l’établissement », conclut la chercheure.

Le projet de Mme Longchamps, réalisé sous la direction du professeur Mario Handfield, spécialiste des aspects culturels, sociaux et territoriaux de l’agriculture, s’insère dans une recherche établissant un portrait de la relève agricole en collaboration avec l’École d’ingénieurs Purpan (France). Il a été effectué dans le cadre du diplôme d'études supérieures spécialisées (DESS) en développement régional et territorial, un programme qui aborde les problématiques du développement en tenant compte des caractéristiques culturelles, historiques, identitaires, économiques, politiques et écologiques et des exigences en termes de durabilité et de respect de l’environnement. Les étudiants peuvent personnaliser leur cheminement en fonction du sujet de leur séminaire interdisciplinaire d’intégration et de synthèse : des cours optionnels abordant les mouvements sociaux, l’économie sociale, la culture, l’entrepreneuriat, le tourisme, l’aménagement, l’histoire et la politique sont notamment offerts.