Étudiante à la maîtrise en histoire, Jessie Morin étudie l’évolution de la représentation de la sexualité féminine dans les téléromans québécois de 1965 à 2005. Ces années ont été marquées par une remise en question majeure du rôle des femmes dans la société québécoise et par une plus grande présence de la sexualité dans les médias. Toutefois, Mme Morin constate qu’un décalage subsiste entre la réalité et les représentations de la sexualité des femmes dans téléromans, bien que ces derniers aient adopté plusieurs courants progressistes et féministes de leur temps.

 « Je me suis notamment intéressée aux personnages féminins selon une grille d’analyse qui tient compte de plusieurs paramètres comme l’âge, l’habillement, le statut social, l’attitude, la nature de leur discours, tout en m’attardant au but recherché dans la présentation de la sexualité à l’écran. Ensuite, j’ai pu établir un parallèle avec les avancées de l’époque et avec le sexe de l’auteur des téléromans étudiés », explique-t-elle. « Le tournant des années 1970 est un point central des luttes féministes. On pense à la présence de plus en plus importante des femmes sur le marché du travail, à la révolution sexuelle, à l’arrivée de la pilule contraceptive, à la réclamation d’une autonomie du corps, etc. », souligne-t-elle.

Après tout ce marathon de télé, un constat majeur émerge : même les séries qui semblent adhérer aux idées féministes mettent en vedette des femmes qui présentent une certaine vulnérabilité sur le plan de la sexualité. « Par exemple, des personnages féminins forts comme Suzie Lambert dans Lance et compte ou Élisabeth Demaison dans Terre humaine perdaient de leur capacité d’affirmation lors des scènes de sexualité », remarque l’historienne.

Jessie Morin note également que la représentation de la sexualité est différente selon le sexe de l’auteur des différents téléromans. « Ceux écrits par des femmes se distinguent notamment sur le plan de la sexualité des hommes! En effet, le discours apparaît moins superficiel, moins axé uniquement sur le physique, et englobe davantage les émotions », soutient la chercheure.

Elle observe également que la représentation de la sexualité des femmes de plus de 40 ans et des mères de famille est relativement récente à la télévision. « Les mères sont centrales dans le genre télévisuel du téléroman, mais jusqu’aux années 1980, c’est comme si elles n’avaient aucune sexualité », ironise Mme Morin.

Malgré la grande popularité des téléromans dans la vie des Québécois, peu d’études historiques ont été menées sur le sujet. Réalisé sous la direction de Karine Hébert, professeure spécialiste en histoire des femmes, ce projet de recherche permet à Jessie Morin d’approfondir ses connaissances dans ce domaine de spécialisation de l’histoire afin de mieux saisir le présent.

« J’ai amorcé mon projet avant la grande vague actuelle de dénonciations d’agressions sexuelles. Mais je me rends compte qu’il met en lumière que les inégalités entre les hommes et les femmes en matière de sexualité ne datent pas d’hier et que les représentations de la sexualité au petit écran ont une influence sur la façon dont le public conçoit sa propre sexualité. Les auteurs ont un pouvoir important qui vient, à mon avis, avec la responsabilité de présenter une image réaliste de la femme. Mais le public doit, lui aussi, saisir les nuances entre la fiction et la réalité », conclut-elle.