Le vieillissement de la population a d’importantes conséquences sur le marché du travail. Si cette réalité influence directement la disponibilité de la main-d’œuvre, elle touche aussi à un autre enjeu majeur, celui de la rétention du personnel qui agit comme proche aidant. Une question qui interpelle comme jamais les employeurs dans la gestion de leurs ressources humaines.

Selon l’Institut de la statistique du Québec, le quart de la population de la province âgée de 15 ans et plus — soit plus de 1,6 M de personnes — joue le rôle de proche aidant auprès d’un membre de la famille ou encore d’un ami. Ce soutien peut être d’ordre psychologique, émotionnel ou physique. Plus du tiers de ces proches aidants sont âgés de 45 à 54 ans (34,6 %) et les 55 à 64 ans représentent 35 % d’entre eux. « Considérant leur âge, ce sont plus de la moitié des proches aidants qui occupent un emploi. Cela représente beaucoup de personnes actives sur le marché du travail qui doivent composer avec la conciliation de leur vie professionnelle et du soutien et des soins prodigués à un proche ayant une incapacité », observe la professeure en gestion des ressources humaines Catherine Beaudry.

Les proches aidants sont confrontés à une difficulté commune: l’état des personnes qu’ils soutiennent est imprévisible. « Cette imprévisibilité affecte directement la vie professionnelle des proches aidants », souligne la professeure en relations industrielles Mélanie Gagnon. « Souvent, ils doivent s’absenter à la dernière minute au cours de leur journée de travail ou encore ils arrivent en retard. Les effets sur leur emploi s’accumulent et s’accroissent selon l’intensité des soins prodigués. Dans certains cas, des proches aidants doivent modifier leurs perspectives de carrière, voire y renoncer. »

Au cours des trois dernières années, les professeures Gagnon et Beaudry ont mené deux recherches sur la conciliation travail/famille/responsabilités de soins. Elles se sont d’abord penchées sur la façon de concilier le rôle de proche aidant et les obligations liées au travail. En tout, 42 proches aidantes ont participé à la première recherche réalisée en 2016. Un grand constat se dégage de leur situation : les proches aidants sont souvent sujets à l’appauvrissement.

« Plusieurs proches aidants doivent réduire leurs heures de travail, chercher un travail moins exigeant ou encore se retirer du marché du travail pour se consacrer à leurs responsabilités d’aidants. Au Canada, on estime qu’en moyenne chaque proche aidant doit assumer 7600 $ par année pour des coûts inhérents à la réduction des heures de travail et pour des frais qui ne sont pas remboursés pour prendre soin de la personne aidée. C’est environ le tiers des proches aidants qui éprouvent des difficultés financières et qui trouvent leur situation stressante », indique la professeure Beaudry.

Dans un second temps, les professeures Gagnon et Beaudry ont sondé 1910 employeurs québécois sur leurs perceptions à l’égard des proches aidants en situation d’emploi. Cette recherche réalisée en 2018 a permis de mettre en relief les pratiques de conciliation travail/famille/responsabilités de soins qu’ils déploient. Les mesures de conciliation qui sont les plus souvent mises de l’avant pour mieux articuler la sphère du travail et les obligations des employés proches aidants sont : l’instauration de congés sans solde pour des raisons personnelles, l’horaire variable, la flexibilité pour les pauses ou les heures de repas, l’horaire sur mesure, le retour progressif à la suite d’un arrêt de travail, le travail à temps partiel et l’accumulation du temps supplémentaire pour des congés futurs.

« Nos travaux ont permis de constater que la mise en place de mesures de conciliation a des effets organisationnels positifs », explique la professeure Gagnon. « Ces mesures permettent non seulement d’améliorer le climat organisationnel, mais aussi de réduire le taux de roulement et les coûts liés à l’absentéisme. En revanche, la surcharge de travail pour le supérieur immédiat et les collègues ainsi que les répercussions financières liées aux pratiques de conciliation sont des conséquences perçues négativement par les employeurs sondés. »

Le gouvernement du Québec prépare une première Politique nationale pour les proches aidants. La professeure Mélanie Gagnon a été invitée à prendre part, en décembre dernier, à une consultation organisée par le ministère de la Santé et des Services sociaux. « Cette politique est attendue avec intérêt. Les proches aidants font preuve de dévouement, notamment en raison de l’insistance de l’État dans les soins à domicile. En revanche, les responsabilités inhérentes aux proches aidants ne devraient pas menacer leur vie professionnelle », conclut Mme Gagnon.