La pauvreté n’est pas facilement décelable en milieu rural. La peur d’être stigmatisé y est souvent plus grande que dans l’anonymat des grands centres. Des chercheuses de l’UQAR ont réalisé une recherche dans plusieurs régions du Québec pour documenter ce phénomène et trouver des pistes de solution pour aider les autorités municipales en milieu rural à y faire face.

Les professeures en travail social Lorraine Gaudreau et Lucie Gélineau ont mené cette recherche effectuée avec leurs collègues Paule Simard, de l’Institut national de santé publique, et Sophie Dupéré, de l’Université Laval. Avec la collaboration du Réseau québécois de villes et villages en santé (RQVVS), elles ont voulu comprendre comment les municipalités membres du réseau font face aux questions de la pauvreté et de l’exclusion sociale.

De 2015 à 2018, l’équipe de recherche a réalisé près de 20 entretiens individuels avec des acteurs clés du milieu rural, dont plusieurs membres de conseils municipaux et des intervenantes et des intervenants sociaux. À l’issue de cette première phase de collecte, les chercheuses se sont penchées sur des initiatives de lutte à la pauvreté menées dans quatre municipalités du Québec, soit Saint-Pascal (Bas-Saint-Laurent), Lebel-sur-Quévillon (Nord-du-Québec), Rouyn-Noranda (Abitibi-Témiscamingue) et Notre-Dame-de-Ham (Centre-du-Québec).

Lors de ces études de cas, près d’une trentaine d’entretiens individuels ont été effectués auprès d’utilisatrices et d’utilisateurs de services d’aide, de membres de conseils municipaux et de responsables des initiatives de lutte à la pauvreté. En outre, une cinquantaine de personnes ont pris part à des entretiens collectifs. « Notre objectif était d’établir un processus de coconstruction des connaissances avec les personnes qui sont directement concernées par la question de la pauvreté en milieu rural. La diversité des points de vue exprimés nous a donné une vision plus globale des défis et enjeux en présence », observe la professeure Lorraine Gaudreau.

L’analyse des données récoltées a permis à l’équipe de recherche de mieux cerner les perceptions des acteurs municipaux et des personnes vivant en situation de pauvreté en milieu rural. Ces perceptions ont amené les chercheuses à dégager trois formes de pauvreté, soit celle des personnes, celle des communautés et celle des municipalités rurales.

« Ces trois formes de pauvreté s’influencent mutuellement », constate la professeure Gaudreau. « La pauvreté des personnes en milieu rural est perçue comme étant moins visible que dans les centres urbains, notamment en raison de réseaux de solidarité de proximité comme la famille. Paradoxalement, les personnes utilisatrices de services interviewées ont insisté sur la présence de préjugés qui entraînent parfois un isolement accru. Par exemple, elles peuvent renoncer à utiliser des services ou à participer à des activités développées pour les personnes en situation de pauvreté. »

La pauvreté des communautés est, quant à elle, associée aux pertes d’emplois et de services de proximité, qu’il s’agisse de commerces ou d’institutions publiques. « L’absence de services communautaires, de services de santé et de services de garde de même que le manque d’accès à des services de transport collectif ont un impact sur les communautés étudiées. Quant à la pauvreté des municipalités rurales, elle se manifeste par une faible capacité financière à investir dans leur propre développement et dans leurs infrastructures », note la professeure Lucie Gélineau.

Trousse d’outils

Les constats découlant de cette recherche ont permis à l’équipe de recherche de développer des outils de sensibilisation à la pauvreté s’adressant aux élus des municipalités rurales. « Plusieurs élus ne perçoivent pas d’emblée que les municipalités rurales doivent faire preuve de leadership en matière de lutte à la pauvreté. Souvent, ils se sentent démunis pour intervenir et les mesures de l’État à cet égard sont souvent mal adaptées à la réalité des milieux ruraux », poursuit la professeure Gélineau.

Les municipalités rurales peuvent, par exemple, intervenir pour contrer la pauvreté en prêtant des locaux et des équipements, en créant des logements sociaux, en permettant à des employés de s’impliquer dans des projets et dans des comités de travail, en accordant du financement pour des initiatives communautaires (comme des cuisines collectives et des banques alimentaires) et en finançant du transport collectif. De plus, elles peuvent jouer un rôle important dans la mobilisation des acteurs de leur milieu, dans la lutte contre les préjugés au sein de leur communauté et dans la promotion des ressources existantes.

La trousse d’outils « Municipalités rurales et pauvreté… le défi d’en parler » a été créée pour répondre aux défis identifiés dans le cadre de la recherche. La trousse propose aux élus municipaux trois étapes pour lutter contre la pauvreté, soit de reconnaître la pauvreté en milieu rural, d’inclure les personnes en situation de pauvreté dans l’élaboration de projets et de politiques et de les faire participer lors de la mise en œuvre de ces projets et de ces politiques.

« Les personnes en situation de pauvreté doivent être prises en considération tout au long du processus menant à la mise sur pied d’initiatives visant à contrer la pauvreté. C’est une des grandes conclusions de la recherche. Par ailleurs, les municipalités rurales ont déjà plusieurs leviers d’action pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion, mais elles ont besoin d’être mieux soutenues. La trousse propose à cet égard plusieurs pistes d’action », conclut la professeure Gaudreau. La trousse est offerte sur le site du Réseau québécois de villes et villages en santé (RQVVS).