Avec le réchauffement climatique, la fonte des glaces dans l’Arctique est devenue un enjeu non seulement scientifique, mais politique et économique. Mais quelles en sont les conséquences biologiques sur les populations fauniques qui nichent dans cette région?

Dans le cadre de sa maîtrise en gestion de la faune et de ses habitats, Frankie Jean-Gagnon cherche à comprendre l’impact des conditions de la glace de mer sur la reproduction des eiders à duvet nichant dans l’Arctique canadien. Elle étudie particulièrement la population de canards nichant sur l’île Mitivik à East Bay, au Nunavut, soit la plus importante colonie d’eiders dans l’Arctique canadien. Cette colonie fait d’ailleurs l’objet d’un suivi à long terme par Environnement Canada depuis 1996.

Le succès de reproduction des oiseaux migrateurs comme l’eider à duvet dépend fortement des fluctuations climatiques. Alors qu’ils passent l’hiver sur les côtes du Groenland et du Labrador, ils parcourent plusieurs milliers de kilomètres pour aller se reproduire dans l’Arctique canadien au printemps. « À la suite de la migration, les eiders recherchent les eaux libres de glace pour s’alimenter d’invertébrés dans le but d’augmenter leurs réserves corporelles en vue de la reproduction. De plus, pour espérer se reproduire avec succès, les femelles doivent faire correspondre la période de ponte de manière à ce que l’éclosion des canetons survienne au moment où le milieu marin se libère de la glace de mer », explique Mme Jean-Gagnon. Toutefois, avec les changements climatiques, la fonte de glace tend à varier au fil des années et le succès reproducteur des oiseaux dépend de leur capacité à ajuster leur date de ponte en fonction des conditions environnementales qu’ils rencontrent.

La chercheuse a observé les femelles eiders à partir de caches situées dans la colonie et a récolté plusieurs paramètres comme la date d’arrivée, la date de ponte et d’éclosion, et la taille de la couvée. Elle a par la suite couplé ces informations à des données provenant d’images satellitaires radar utilisées pour déterminer les dates de débâcle aux embouchures des rivières et dans la baie, moment où les eiders à duvet ont accès à leur nourriture. « Les premiers résultats révèlent qu’une débâcle hâtive entraîne une arrivée devancée des eiders à la colonie, ainsi qu’une ponte et une éclosion hâtive. Inversement, si les eiders migrent vers leur site de nidification et que les eaux sont toujours emprisonnées sous les glaces, les femelles semblent retarder la période de ponte de façon à avoir plus de temps pour améliorer leur condition corporelle et de pouvoir ainsi couvrir les dépenses énergétiques liées à la reproduction », précise-t-elle.

East Bay sur l’île Southampton se situe à la confluence du Bassin de Foxe et du détroit d’Hudson, secteur qui connaîtra au cours des prochaines années une hausse de trafic maritime en raison de l’exploitation des ressources naturelles dans le Grand Nord. « Avec la navigation qui sera probablement rendue possible à l’année, il devient urgent de préciser l’impact des conditions de la glace de mer sur la dynamique et la distribution des populations fauniques des régions arctiques afin de mieux évaluer les conséquences biologiques liées aux changements climatiques », souligne Mme Jean-Gagnon.

Ce projet de recherche se déroule sous la direction du professeur en écologie Joël Bêty, en codirection avec le professeur en télédétection Simon Bélanger. Diplômée au baccalauréat en géographie à l’UQAR, Frankie Jean-Gagnon s’est ensuite inscrite au diplôme d’études supérieures spécialisées en gestion de la faune et de ses habitats, une formation professionnelle en biologie, qui correspond à la première année de la maîtrise en gestion de la faune et de ses habitats. Durant le DESS, Mme Jean-Gagnon a pu développer son propre projet de recherche, au lieu de se joindre à un projet déjà existant d’un professeur. « Le DESS m’a donné une voie d’accès à la maîtrise, où j’ai pu élaborer mon projet de A à Z, tout en combinant mes intérêts pour l’écologie et la géographie », conclut-elle.

Il est à noter que Frankie Jean Gagnon est boursière du programme multidisciplinaire de formation FONCER du CRSNG en sciences environnementales nordiques Environord.