Avec le réchauffement climatique, le recul de la banquise va favoriser une forte croissance du trafic maritime dans l’océan Arctique canadien. L’augmentation des activités maritimes pourrait entraîner l’apparition d’espèces non indigènes, voire invasives, au point de déséquilibrer la biodiversité et le fonctionnement de l’écosystème arctique.

Avec le recul de la banquise, les navires venant du monde entier font désormais usage des eaux de l’Arctique canadien, et ce, pendant une période exempte de glaces de plus en plus étendue. Par leur coque et par leurs réservoirs (eau de ballast), ces navires sont susceptibles de transporter dans les eaux canadiennes des espèces aquatiques, des bactéries et des micro-organismes provenant d´outre-mer.

Dans le cadre de sa thèse de doctorat en océanographie, Jesica Goldsmit s’intéresse aux espèces d'invertébrés benthiques, soit celles qui vivent dans le fond marin, comme les étoiles de mer, les vers marins, les moules et les ascidies. La doctorante a récolté plus de 300 carottes sédimentaires dans les ports de Churchill (Manitoba), d’Iqaluit (Nunavut) et de la Baie-Déception (Québec), dont les activités maritimes ont fortement crû au cours des dernières années, ainsi qu’au site de Steensby Inlet (Nunavut), où une installation portuaire est présentement en construction à proximité d’une mine de fer.

« L’objectif de la première partie du projet est de créer une base de données avec toutes les espèces identifiées et les conditions environnementales dans les quatre sites d'étude, afin de déterminer l'impact de l'augmentation des activités maritimes. On comparera les résultats obtenus dans le présent avec des références scientifiques et des données du ministère des Pêches et des Océans du Canada pour déterminer si les espèces que l’on a trouvées sont indigènes ou non au milieu », explique la chercheuse.

Une fois qu’on a relevé le défi de l’identifier les espèces, il reste encore à expliquer l’origine des espèces. La démarche n’est pas des plus simples. En fonction de l’espèce et de son origine géographique, Mme Goldsmit vérifie si le trafic marin à destination de l’Arctique canadien pourrait expliquer sa présence, ou bien si cette présence serait davantage liée à une migration due au réchauffement climatique. « Par exemple, un type de ver marin, qu’on appelle polychète, qui n’a été référencé jusqu’à maintenant qu’en mer de Barents (au nord de la Norvège et de la Russie), a été trouvé dans les ports de Churchill et de Deception Bay. L’introduction par le trafic maritime est donc une hypothèse plausible », mentionne-t-elle.

L’introduction d’une nouvelle espèce peut influencer celles en place, indique Mme Goldsmit. « Par exemple, dans les régions de l'Arctique russe et norvégienne, la présence d´une espèce de crabe royal originaire de l'océan Pacifique a été décrite. Ces crabes sont des prédateurs et peuvent affecter les populations de proies et ainsi amener à une concurrence pour la nourriture avec les autres types de crabes déjà présents dans l’écosystème. Il est important de prévoir l´effet conjoint de l´introduction d'espèces, du changement climatique, de l'activité de transport et de l'augmentation de l'exploitation des ressources, car ils peuvent avoir un fort coût économique et écologique », indique la chercheuse.

Jesica Goldsmit est dirigée par le professeur Philippe Archambault, dont le laboratoire en écologie benthique réalise des travaux de recherche sur l’influence des perturbations anthropiques et naturelles sur la biodiversité benthique. La chercheuse en écologie des espèces nordiques Kimberly Howland, de Pêches et Océans Canada, agit en tant que codirectrice.