Les professeures Geneviève Brisson et Marie-José Fortin ont déposé un mémoire sur l’acceptabilité sociale dans le cadre du chantier mené sur le sujet par le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles. Se basant sur des travaux menés notamment par la Chaire de recherche du Canada en développement régional et territorial, les deux spécialistes de l’UQAR prônent l’adoption d’une définition claire du concept qui est véhiculé dans l’espace public. Voici un résumé du mémoire que les professeures Brisson et Fortin ont écrit afin d’expliciter leur position à l’égard de l’acceptabilité sociale.

Pour des fondements partagés de l’acceptabilité sociale

Il y a quelques semaines, le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) lançait «un grand chantier sur l’acceptabilité sociale des projets liés à l’exploitation des ressources naturelles» (MERN, 2015 : 1). Malgré les critiques que l’on peut faire sur le processus retenu, la tenue d’un tel exercice apparaît essentielle dans le contexte actuel où nombre de projets et politiques font l’objet de débats majeurs au Québec, et où le terme d’acceptabilité sociale (AS) est de plus en plus invoqué par les différentes parties prenantes. Pour prendre part et alimenter les débats en cours, nous avons déposé un mémoire qui prend appui sur divers travaux menés à l’UQAR). Il est articulé autour de quatre points.

  1. La notion d’AS doit être définie clairement, sous peine d’entretenir les conflits. Elle a été régulièrement critiquée à cause de son caractère flou. Plusieurs définitions ont pourtant été avancées depuis quelques années. Le problème n’est donc pas celui d’un manque de définition; il réside plutôt dans le manque de cohérence, voire de constance, lorsque la notion est invoquée par différents acteurs. Comme premier repère commun, nous suggérons de distinguer acceptabilité et acceptation, en utilisant la notion d’acceptabilité sociale pour désigner le processus de négociation sociale qui, lui, peut mener à un résultat d’«acceptation» ou à un résultat d’«inacceptation» d’un projet, programme ou politique.
  2. À défaut d’avoir une définition satisfaisante, on peut dégager quelques éléments qui révèlent de nouvelles façons de penser les grands projets et modes d’exploitation de nos ressources naturelles. Soulignons-en trois principaux. Les démarches d’acceptabilité sociale misent sur des processus d’interaction de nombreux acteurs, y compris les individus et populations locales concernés. Certaines phases de ces processus peuvent être sous forme collaborative, alors que d’autres empruntent des voies plus conflictuelles. Enfin, les processus permettent de remettre en question la finalité du projet, programme et politique en débat, et sont ouverts à des résultats d’acceptation ou d’inacceptation.
  3. Un des grands défis est celui de saisir s’il y a acceptation ou non. Très souvent, les débats sont perçus et narrés selon un mode binaire : pour ou contre le projet. Or, les positions des acteurs sont plus nuancées. Aussi, elles peuvent évoluer dans le temps. Il faut donc reconnaître que l’acceptation sociale peut revêtir des formes variées, plus faible ou plus forte, en lien avec les ressources et le pouvoir des acteurs. On conviendra qu’accepter par dépit (faute d’autres alternatives de développement), par crainte (pression sociale) ou par sentiment d’impuissance (ex : projet trop avancé, lieux de décisions éloignés) constitue une forme faible d’acceptation, dont la légitimité peut vite être remise en cause. Ce type de situation est vivement dénoncé, et avec raison, par nombre de groupes critiques. Pour l’éviter, il convient d’entreprendre des démarches d’acceptabilité sociale favorisant l’engagement de tous les acteurs, donc leur conférant des ressources suffisantes pour exercer un pouvoir d’influence sur l’issue du processus (positif ou négatif); de même, le processus doit être le fait d’un véritable choix conscient et éclairé; enfin, dans le cas où le résultat est positif, il doit être fondé sur une acceptation forte dont les bases sont explicitées.
  4. Enfin, l’implication des communautés locales doit être à l’ordre du jour afin de garantir un rôle actif pour ces acteurs longtemps exclus des processus de décision, et afin d’assurer une articulation forte avec les territoires et les communautés. Nous suggérons huit grands principes pour orienter les pratiques en la matière. Ils touchent l’ancrage sur le socle du territoire, la participation publique, la disponibilité d’expertises de qualité, la distribution des retombées économiques et des impacts négatifs et, possiblement le plus difficile, l’ouverture du débat à toutes les options, y compris le refus d’un projet qui ne cadrerait pas avec la vision d’avenir du territoire

Pour conclure, le caractère flou de l’acceptabilité sociale a eu comme avantage, à court terme, de permettre à plusieurs de l’utiliser, élus, entreprises, représentants d’associations, citoyens, mais cela, avec des interprétations variées. À moyen terme, si des interprétations trop contradictoires persistent, des désaccords profonds surgiront qui peuvent conduire à inhiber toute tentative d’échange et de débat sur des projets et les modèles de développement des ressources naturelles, ce qui est pourtant visé par cette notion. Pour que cette notion puisse être porteuse, beaucoup de travail reste à faire. Cela parce qu’autour de cette notion se jouent des phénomènes déjà connus soit de tensions vives, de grandes luttes pour l’appropriation de ressources, de territoires entre des groupes sociaux qui ont des visées différentes. En ce sens, les débats actuels autour de la définition de l’acceptabilité sociale constituent une fenêtre possible pour introduire des changements dans les façons de penser et de faire le développement, en phase avec ce que la société québécoise est devenue.