En dépit de l’amélioration des soins et des services de santé mentale réalisée au cours des réformes successives du système de santé, il y a encore beaucoup de travail à accomplir pour répondre aux besoins de la population dans ce domaine. Madame Claire Page, spécialiste en santé mentale, a présenté, le 18 novembre 2016, une conférence intitulée : Pour une population en santé mentale : complexité, perspectives et défis. La conférencière a occupé un poste de professeure en sciences infirmières à l’UQAR jusqu’en 2015.
En 1961, l’histoire de la psychiatrie au Québec a été marquée par la parution du livre écrit par Jean-Charles Pagé : Les fous crient au secours. La dénonciation par cet ex-patient de l’Hôpital St-Jean-de-Dieu, à propos des conditions de vie déplorables des patients et des traitements inadéquats pratiqués dans les hôpitaux psychiatriques (électrochoc, lobotomie, etc.), a participé à l’éveil d’une critique entraînant un grand débat public. Immédiatement, une Commission d’enquête sur les hôpitaux psychiatriques a été commandée. Celle-ci a été conduite par trois psychiatres : Dominique Bédard, Denis Lazure et Charles A. Roberts. Leur rapport, paru dès 1962, a démontré l’urgence de réformer les services psychiatriques. C’était le début de la désinstitutionalisation des personnes ayant des troubles mentaux.
Un autre événement majeur est survenu au Québec en 1989, soit le lancement de la Politique de santé mentale. Cette politique novatrice mettait l’accent sur cinq grands principes : 1) la primauté de la personne dans l’organisation des services, 2) l’amélioration de la qualité des services, 3) l’équité des services, 4) les solutions dans le milieu de vie et 5) la consolidation du partenariat en reconnaissant le potentiel de chacun des partenaires et en privilégiant des rapports ouverts entre eux et la poursuite d’objectifs communs. Cette politique a été la pierre angulaire de tous les plans d’actions qui ont suivi pour orienter la transformation des services de santé mentale.
Complexité
Malgré tous ces efforts, pourquoi est-il toujours aussi difficile de répondre aux besoins de santé mentale de la population ? Madame Page relève cinq points permettant de saisir la complexité des soins et des services dans ce domaine particulier. Tout d’abord, la prévalence élevée des troubles mentaux pose un grand défi. Au Québec, une personne sur cinq souffrira d’un trouble mental au cours de sa vie. La prévalence des troubles mentaux sur un an est estimée à 12 %. Pour les deux tiers de ces troubles, il s’agit de troubles dépressifs et de troubles anxieux.
La comorbidité est un autre facteur qui rend complexe la dispensation de soins et de services en santé mentale, puisque, par exemple, 60 % des gens atteints de dépression sont aussi aux prises avec une maladie chronique comme le diabète ou une maladie cardiovasculaire. La dépression et les troubles anxieux sont aussi très souvent concomitants avec une dépendance à l’alcool ou aux drogues.
La complexité relève également de la nature de la « maladie ». La nature des diagnostics psychiatriques comporte un niveau de subjectivité plus élevé que les diagnostics de maladies physiques. Par exemple, dans le cas d’un cancer, il est possible par imagerie de voir un marqueur clair, une tumeur visible. De manière différente, le diagnostic d’un trouble mental repose sur un ensemble de critères traduisant un niveau de souffrance rapporté par la personne ou ses proches, des comportements ou des traits de la personnalité. Bien qu’indispensable, le DSM-5 a fait l’objet de critiques par rapport au risque de surdiagnostiquer des personnes présentant des émotions courantes et ordinaires de de la vie. Établir un diagnostic psychiatrique demande beaucoup de connaissances, de discernement et de prudence.
La stigmatisation, qui constitue l’un des obstacles majeurs à la rechercher d’aide, s’ajoute aux facteurs de complexité. Seulement 40 % des personnes atteintes de troubles mentaux osent demander de l’aide. En plus des difficultés causées par les troubles mentaux, la personne doit lutter contre la stigmatisation. Dans notre société de performance, on associe trop souvent les troubles mentaux à une personnalité faible, à un manque de motivation. La personne, disqualifiée au plan social, en vient à s’autostigmatiser. Elle développe un sentiment de honte, de faiblesse et de culpabilité.
Enfin, répondre aux besoins des personnes atteintes de troubles mentaux requiert des interventions psychologiques complexes. Les symptômes sont souvent rapportés vaguement et semblent inexplicables. S’ajoutent à cela des problèmes sur le plan psychosocial. Ces facteurs multifactoriels n’ont pas de traitements concrets standards dont l’effet serait rapidement observable. Pour le professionnel en santé, c’est la relation qu’il aura avec la personne qui constitue le principal outil thérapeutique. Un niveau élevé de connaissances et de compétences, ainsi que de bonnes habiletés relationnelles sont nécessaires pour aider des personnes dont les manifestations de la souffrance peuvent parfois mettre à rude épreuve l’empathie. L’intervention en santé mentale se complique aussi par l’équilibre délicat entre l’encouragement à l’autonomie de la personne qui présente un trouble mental et sa protection. En outre, les conséquences peuvent être dramatiques (suicide, etc.).
Perspectives
En deuxième partie de la conférence, madame Page a présenté quatre perspectives actuelles visant à améliorer les soins et les services de santé mentale. Premièrement, la lutte contre la stigmatisation est primordiale. Les préjugés entourant les troubles mentaux et les personnes qui en souffrent doivent être remis en question. Des connaissances justes sur les troubles mentaux doivent être transmises à toute la population, mais prioritairement à tous les professionnels de la santé et intervenants en lien avec les personnes atteintes et leurs proches. La meilleure approche pour réduire la stigmatisation et pour changer les perceptions est celle qui privilégie les contacts directs avec des personnes souffrant de maladie mentale.
Deuxièmement, plus d’efforts doivent être fournis dans le champ de la promotion de la santé mentale et de la prévention des troubles mentaux. Ceci implique non seulement les actions auprès des individus, mais aussi celles visant à assurer un milieu de vie favorable.
Selon madame Page, l’accès accru à des suivis en psychothérapie fait partie des perspectives envisagées. D’ailleurs, des pays comme le Royaume-Uni et l’Australie offrent déjà ce service gratuitement. L’efficience de cette option est présentement à l’étude au Québec. Des conclusions sont attendues très prochainement.
Quatrièmement, la perspective du rétablissement est le fil conducteur des plans d’actions qui se succèdent au Québec, tout comme ailleurs dans le monde. Le rétablissement repose sur l’espoir et le pouvoir d’agir sur sa propre vie. L’objectif étant de mener une vie satisfaisante, prometteuse et productive, en dépit des limites qu’impose la maladie. Pour la personne, il s’agit de réinventer sa vie, de lui donner du sens.
Défis
Madame Page a terminé sa conférence en soulignant les grands défis à relever en santé mentale.
En premier lieu, il faut intégrer les services offerts en santé mentale (médecins, CLSC, services spécialisés, organismes communautaires). Elle insiste sur le fait que les organismes communautaires sont trop souvent peu connus et peu reconnus.
Deuxièmement, il importe de tirer profit de l’apport et du plein potentiel de tous les professionnels de la santé dans la prestation des soins et des services en santé mentale. À noter que le Québec affiche un retard important sur l’Ontario en matière de reconnaissance des infirmières praticiennes. Des travaux sont actuellement entrepris au Québec pour créer une nouvelle catégorie d’infirmières praticiennes, soit celles spécialisées en santé mentale.
En troisième lieu, le leadership gouvernemental doit être affirmé afin de faire des soins et des services de santé mentale une vraie priorité.
Et enfin, il faut une population avisée et attentive à ses préjugés car la santé mentale, c’est l’affaire de TOUT le monde.
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