Au cours des années 1960, le monde de l’éducation québécois est en pleine ébullition. La commission Parent est venue bouleverser à la fois le réseau scolaire et les grands principes qui l’orientent. Fin des écoles de rang, création des polyvalentes : l’ensemble de l’éducation primaire et secondaire est repensé autour des notions de mixité et d’accessibilité.

Dans un contexte de croissance économique et de transformation rapide du monde du travail qui exige une population de plus en plus scolarisée, l’enseignement supérieur connaît le même sort avec l’implantation des cégeps et la mise en place du réseau de l’Université du Québec (UQ). Pensée dans la perspective de démocratiser l’éducation, de remplacer les écoles normales et d’appuyer le devenir de toutes les régions du Québec, l’UQ se déploie dès l’automne 1969.

Les origines d’une institution

À Rimouski, l’idée d’une université rurale pointe dès 1936 sous la plume de l’abbé Antoine Gagnon. Dans une conférence prononcée au Club Richelieu en 1950, l’homme d’affaires Jules-A. Brillant s’empare d’une idée similaire et soutient que le progrès de la région doit passer par l’éducation et la mise en réseau de toutes les écoles professionnelles et supérieures (Écoles de marine, de commerce, d’agriculture, technique et Séminaire)[1]. La graine est plantée, mais elle n’a pas encore germé. Il faut attendre les années 1960 pour qu’un groupe d’ardents défenseurs de l’éducation de la région mettent leurs énergies en commun pour concrétiser le projet.

Entretemps, la reconquête des leviers économiques par les Québécois, grand projet de la Révolution tranquille, donne lieu à des prises de conscience, où le développement et l’éducation s’imposent comme des mantras. En 1961, l’abbé Pascal Parent met en place des cours d’extension universitaire à Rimouski, coordonnés par l’Université Laval, où des centaines d’adultes, qu’ils soient enseignants, fonctionnaires ou membres du corps hospitalier, s’investissent dans ce que l’on qualifie aujourd’hui de formation continue[2]. Un pas de plus est franchi en 1966, alors que des gens de partout dans l’Est forment le comité provisoire du Centre d’études universitaires de Rimouski (CEUR), une fois de plus sous la direction de Pascal Parent. Pour eux, l’idéal de la démocratisation de l’enseignement doit passer par sa décentralisation.

Lors de la création de l’Université du Québec, Rimouski n’est pas dans les plans prioritaires. Le travail acharné du comité provisoire permet d’obtenir, quelques semaines à peine avant l’ouverture des cours, l’autorisation de démarrer le Centre d’études universitaires pour septembre 1969. Si la formation des maîtres est déterminante dans le projet initial, déjà se dessinent les autres grands mandats qui feront la renommée de l’institution : l’enseignement général, la recherche et l’engagement dans le milieu. L’UQAR, telle qu’on la connaît, obtient ses lettres patentes en 1973 alors qu’elle devient une véritable université constituante du réseau de l’UQ.

Les premières années

Au fondement de l’UQ se trouvait la volonté de fédérer toutes les écoles d’enseignement supérieur déjà existantes sur les territoires couverts par les constituantes, dont les écoles normales. À Rimouski, trois de ces écoles, celles tenues par les Ursulines et les Sœurs du Saint-Rosaire ainsi que l’École normale Tanguay, avaient été fédérées depuis peu et offraient leurs formations au couvent des Ursulines. Le CEUR s’installera au même endroit en septembre 1969 et les professeurs de l’École normale, parmi lesquels on compte de nombreuses femmes et des religieuses, rallieront le nouveau corps professoral universitaire[3]. D’entrée de jeu, les trois quarts des étudiants, surtout des étudiantes, des premières années sont inscrits dans les programmes de formation des maîtres. Toutefois, les secteurs disciplinaires complémentaires à l’éducation profitent du mouvement pour imposer leurs propres programmes de formation, que ce soit en lettres, en sciences naturelles ou humaines[4]. Rapidement, l’administration fait également sa place comme créneau nécessaire au développement du milieu. D’autres domaines de formation s’ajouteront au noyau de base au fil des années, toujours en tenant compte des besoins de la région.

L’autre objectif fondamental de l’UQ est l’engagement dans la communauté. Avant même sa création, les fondateurs de l’UQAR ont fait le pari de contribuer au développement de l’Est-du-Québec soit par la recherche appliquée en lien avec les ressources de la région, soit par l’accompagnement des collectivités. Cet objectif explique la structuration du second axe majeur de l’UQAR, le développement régional. Le Groupe de recherche interdisciplinaire sur le développement régional, de l’Est du Québec (GRIDEQ) est créé par les professeurs-chercheurs en sciences humaines en 1974. Suivent un programme de maîtrise en 1978 et un doctorat conjoint avec l’UQAC en 1996.

Inhérent au mandat de l’UQAR, l’accompagnement des communautés se concrétise rapidement à travers l’expansion d’antennes et de sous-centres de formation sur tout le territoire. Dès les premières années de fonctionnement, des bureaux sont déployés de La Pocatière jusqu’à Gaspé, en faisant un détour sur la Côte-Nord et en traversant aux Îles-de-la-Madeleine. En 1979, 46 % des activités d’enseignement sont décentralisées et certains cours sont offerts sous forme télémédiatisée[5]. L’année suivante, l’UQAR ouvre un bureau régional à Lévis. Avec les années, ce dernier prend une importance croissante, notamment par la percée de créneaux originaux comme la maîtrise en gestion de projet (1991). Les fruits sont nombreux et le campus actuel de Lévis, inauguré en 2007, est là pour en témoigner.

Une université habitée

Ces structures et ces programmes trouvent leur pertinence parce que des gens les animent et les soutiennent.

À tout seigneur tout honneur, l’Université n’existerait pas sans les étudiantes et les étudiants qui décident d’y passer quelques années de leur vie. À la rentrée de 1969, ils sont plus de 400 inscrits à temps complet, la majorité pour compléter leur formation des maîtres, et plus de 600 à temps partiel[6]. Ce nombre ira en s’accroissant de manière irrégulière, suivant en cela les aléas de l’économie et de la société. À la rentrée de 2018, l’UQAR comptait près de 6700 étudiantes et étudiants, dont 20 % font leurs études hors campus. Si la réalité démographique de l’Est-du-Québec est un défi pour le maintien des effectifs rimouskois depuis une vingtaine d’années, il faut souligner que l’apport des étudiantes et des étudiants étrangers est venu insuffler un vent d’air frais à l’Université, jusqu’à ce que plus de 480 d’entre eux et elles fassent confiance à l’UQAR pour la rentrée 2018.

Les professeures et les professeurs sont la deuxième roue du carrosse universitaire. À son ouverture, le CEUR en compte plus de 50, dont plusieurs sont titulaires d’un doctorat, ce qui place l’UQAR dans le peloton de tête à l’échelle québécoise. En plus d’avoir à diriger les programmes et les départements et à remplir leurs « autres activités universitaires », les professeures et les professeurs ont rapidement souhaité que leur apport à la vie universitaire soit reconnu, que leur voix soit prise en compte dans les décisions de gestion et que la liberté académique soit respectée. Collectivement, c’est par le regroupement au sein d’un syndicat, le SPPUQAR (SPUQAR durant les premières années, alors que la féminisation des titres n’était pas encore au goût du jour !) que ces objectifs seront poursuivis, et parfois âprement défendus, dès 1970.

Individuellement ou en équipe, plusieurs de ces professeures et de ces professeurs acquièrent une renommée nationale et internationale en recherche dans différents domaines. Si les axes d’excellence que sont l’océanographie et le développement régional, auxquels s’ajoute la nordicité en 2005, ont permis à l’UQAR de rayonner, au fil des ans et des nouvelles et des nouveaux arrivés, d’autres créneaux d’enseignement et de recherche originaux sont investis par les chercheuses et les chercheurs, que ce soit en éducation, en sciences religieuses et en éthique, en biologie, en administration, en sciences humaines et en lettres, en sciences infirmières, en génie ou en travail social.

Le mandat de formation imparti à l’UQAR ne pourrait être réalisé sans l’apport des personnes chargées de cours. Leur contribution, bien qu’indispensable, n’a pas toujours été reconnue à sa juste valeur. Ce n’est qu’en 1982 que leur syndicat a pu être accrédité, d’abord en association avec le syndicat des professeures et des professeurs. Présentes dans tous les bureaux régionaux, essentielles pour l’enseignement au premier cycle, les personnes chargées de cours se retrouvent souvent sur la première ligne avec les étudiantes et les étudiants.

Le personnel de soutien représente l’essentielle quatrième roue du carrosse universitaire. Tellement de fonctions reposent sur ses épaules : gestion quotidienne des programmes, des départements et des décanats, entretien, services auxiliaires, finances et autres. Cette disparité n’a pas empêché ces travailleurs et travailleuses de se regrouper au sein du local 1575 du Syndicat canadien de la fonction publique.

Si le compte est bon, nous en sommes rendus à la cinquième roue du carrosse… ! Mais sans l’administration universitaire – sans les recteurs, vice-recteurs, doyens et personnel-cadre – l’Université n’aurait peut-être pas été en mesure de garder le cap. La première génération de décideurs a dû faire preuve de vision ; celles qui ont suivi sont venues à bout des obstacles qui n’ont pas manqué de se dresser sur le chemin. Certains, comme le recteur Marc-André Dionne, n’ont pas hésité à démissionner pour manifester leur mécontentement face à la menace de voir Lévis quitter le giron dans les années 90. Avec toute la communauté universitaire, l’administration a dû s’adapter, en espérant ne pas trop y perdre de son âme, aux nouvelles exigences de collaboration avec l’entreprise, de transfert technologique, d’innovation, pour contrer les effets de la baisse démographique en région et assurer un financement suffisant à l’Université.

« Une université en région, bien plus qu’une université régionale[8]»

Depuis maintenant 50 ans, l’UQAR a eu à cœur d’être une véritable université en région. Cela veut dire assumer une formation variée au premier cycle et novatrice aux cycles supérieurs ; investir avec audace le monde de la recherche ; accompagner le développement de la grande région de l’Est-du-Québec. Mais les conditions de réalisation n’ont pas toujours été facilitantes. En effet, les crises économiques des années 1980, 1990 et 2000 ont eu des impacts majeurs sur le fonctionnement de l’Université et sur les décisions qui ont dû être prises pour en assurer la pérennité.

Comme pour l’ensemble des établissements universitaires québécois, la crise des années 1980 s’est traduite par une volonté de se rapprocher du milieu de l’industrie et des affaires. Tendance qui s’est accentuée lors des crises suivantes. Ainsi, dès 1982, le Centre d’assistance aux moyennes et petites entreprises (CAMPE) est fondé par les professeures et les professeurs de sciences administratives afin de conseiller les entreprises. En 1992, l’UQAR se dote du Bureau de liaison entreprises-université (BLEU) qui agit comme intermédiaire entre les entreprises de la région et les chercheurs[9]. Aujourd’hui, le Centre d’appui à l’innovation par la recherche (CAIR) joue un rôle similaire.

Alors que les règles du jeu du financement universitaire avantagent le plus souvent les grandes universités déjà bien établies sur le plan de la recherche, l’UQAR a dû prendre le pari de la performance dès les années 1980. Confortée en cela par une logique de marché qui se fait sentir à l’échelle occidentale, elle s’est positionnée davantage comme un agent de développement économique, reléguant parfois au second rang l’idéal de transformation sociale de ses fondateurs[10]. Si on utilise les paramètres actuels, le pari a été relevé haut la main : l’UQAR se classe parmi les premières universités de sa catégorie en recherche ; les chaires de recherche se sont multipliées depuis une vingtaine d’années ; les chercheuses et les chercheurs, les groupes et les centres de recherche rattachés à l’UQAR réussissent à obtenir plus que leur part de subventions, publient dans les meilleures revues et les maisons d’édition les plus prestigieuses.

Ces résultats sont impressionnants et auraient sûrement l’heur de surprendre ceux qui ont lutté dès les années 1960 pour que la région puisse se doter d’une véritable université. Mais le ciel n’est pas sans nuages. L’Université lutte pour la « clientèle » étudiante ; les pressions exercées sur l’institution pour ajuster son offre de formations et de recherche en fonction des besoins des entreprises sont susceptibles, si la vigilance n’est pas constante, de restreindre la liberté universitaire inscrite au cœur même du mandat de l’institution. Tous les défis qui ont jalonné le parcours de l’UQAR jusqu’à maintenant ont été relevés ; alors si le passé est garant de l’avenir…

 

[1] Guy Massicotte, « Jules Brillant et l’université du Bas-St-Laurent », Revue d’histoire du Bas Saint-Laurent, vol. V, n2, juin 1978, p. 3-6.

[2] Lucia Ferretti, L’Université en réseau. Les 25 ans de l’Université du Québec, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 1994, p. 19-20.

[3] Pauline Côté, « La formation des maîtres en région : de la vocation à la professionnalisation », dans Nicole Thivierge (dir.), Savoir et développement : pour une histoire de l’UQAR, Université du Québec à Rimouski et GRIDEQ, 1994, p. 179.

[4] Lucia Ferretti, ouvr. cité, p. 47.

[5] Ferretti, ouvr. cité, p. 153-154. Il s’agit notamment du cours « Psychogenèse de l’enfant ».

[6] L’UQAR-Information, vol. 11, no 1, 4 septembre 1979, p. 2.

[7] Ferretti, ouvr. cité, p. 15.

[8] Pascal Parent, 1979, cité dans Ferretti, ouvr. cité, p. 168-169.

[9] UQAR-Info, vol. 26, no 8, 6 décembre 1994.

[10] L’ensemble du réseau de l’UQ a été confronté aux mêmes forces. Ferretti, ouvr. cité, p. 145.