Comment résumer 45 ans de pratique en intervention collective en 288 pages? « J’ai systématisé ma pratique sous 10 dimensions que je considère comme fondamentales, pouvant ainsi servir de repères peu importe l’approche ou le modèle d’intervention privilégié sur le terrain », raconte la professeure retraitée en intervention collective de l’UQAR, Lorraine Gaudreau. Récemment, elle lançait son livre Sens, cohérence et perspective critique en intervention collective, publié aux Presses de l’Université du Québec.

Ayant débuté son engagement social en 1974 au sein du Comité des citoyens et citoyennes du quartier Saint-Sauveur à Québec, Madame Gaudreau confie qu’elle « a eu la chance de croiser des personnes extraordinaires, de se retrouver dans des milieux très stimulants sur le plan de l’engagement social et de vivre des expériences extraordinaires qui [lui ont fourni le] matériel suffisant pour théoriser [sa] pratique. »  Son livre intéressera toute personne qui intervient collectivement au sein d’organismes communautaires, en économie sociale et soli­daire, en défense des droits sociaux, dans des projets communautaires alternatifs, dans des territoires dévitalisés ou dans le réseau de la santé et des services sociaux.

L’ouvrage convie à la découverte de la pensée singulière d’une inter­venante dont la pratique en intervention collective s’est construite sur une période de plus de 45 ans, auprès de différentes communautés et populations marginalisées, tant en milieu urbain que rural. Quel avenir perçoit-elle pour la pratique en intervention collective au Québec? « Par rapport à d’autres pays, on a un réseau communautaire, coopératif, de défense des droits sociaux, d’action sociale, de revitalisation territoriale et d’économie solidaire très fort. On développe aussi des projets qui renforcent le tissu social de proximité ou qui remettent en question les rapports sociaux fondés sur le tout au marché et sur l’épuisement des ressources. L’univers du collectif est très vivant au Québec. Avec bien sûr les défis qu’il comporte », répond la professeure Gaudreau.

La professeure identifie trois défis qu’elle considère comme majeurs. « Le premier défi concerne le fait de travailler tout autant sur les causes des problèmes sociaux que sur leurs effets. Par exemple, si les causes de la pauvreté ne sont pas combattues, les banques alimentaires seront toujours nécessaires. Un autre défi important est celui de la formation, de l’éducation populaire, dans les groupes. C’est par la formation, à partir de la mise en commun des réalités vécues, que les personnes comprennent pourquoi tant de personnes, dont elles-mêmes, sont victimes des inégalités sociales », poursuit Lorraine Gaudreau.

« Le troisième défi qui m’interpelle, c’est l’apprentissage de la démocratie interne au sein des organisations. Décider avec les personnes qui font partie de l’organisation, qui mènent des luttes sociales ou participent aux projets. C’est par cet apprentissage de l’être ensemble dans le dialogue, du construire ensemble qu’on crée et recrée le monde. C’est apprendre à penser la société ensemble pour plus de justice sociale. C’est fondamental. C’est faire AVEC les personnes qui sont victimes des situations sociales à l’origine de l’action et non faire POUR. »

Une des expériences fondatrices de la pensée de la professeure Gaudreau a été vécue au tout début de son parcours en 1974-75. « J’étais à l’ADDSQM, un groupe de défense de droits des personnes assistées sociales à Québec. Des femmes de Montréal sont venues nous offrir une formation sur la loi québécoise de l’aide sociale. Imaginez, la jeune universitaire qui se fait former politiquement par des personnes assistées sociales. Un choc. D’autant lorsque ces femmes qui ont travaillé toute leur vie à petit salaire, dans de mauvaises conditions de travail, réussissent à nous faire comprendre la société à partir de la prise de paroles des participant.es et d’outils pédagogiques puissants comme la pyramide sociale. J’ai été renversée pour le reste de ma vie. Toute mon orientation en formation politique, en pédagogie qui tient compte du portrait culturel des personnes de classes populaires est issue de ce moment. […] Collectivement, tu réalises que tu peux améliorer les conditions de vie des personnes, que tu as du pouvoir, que tu peux agir. »

La pensée de l’auteure constitue donc l’héritage d’une vie avec ses révélations, ses défis, ses certi­tudes et ses doutes. Son livre pourra inspirer celles et ceux qui s’engagent ou s’engageront dans le changement social dans une perspective d’action et de transformation fondée sur la justice sociale et la promotion du bien commun, venant ainsi combler leur désir d’humanité et actualiser leur solidarité avec les personnes qui portent lourdement le poids des inégalités et des iniquités sociales.

« Depuis sa parution, je réalise que c’est un livre extrêmement intéressant à lire en groupe. Prendre un chapitre à la fois et échanger, partager ce qu’on comprend, se dire ce qui nous confronte, nous rassure, nous nourrit et même nous heurte », affirme Lorraine Gaudreau. Devenue professeure à l’UQAR à l’âge de 58 ans, avec un bagage pratique et théorique construit collectivement à travers le temps, elle a mixé dans son livre théorie, récits d’expérience et outils concrets d’intervention. « Cet ouvrage, c’est la synthèse de ce que j’ai appris, compris, reçu, découvert, créé, cocréé, réfléchi au cours de ma pratique, avec ma tête et mon cœur aussi. Je l’ai écrit, mais il est traversé par la parole, l’engagement et la praxis de multiples personnes. À la fin du livre, il y a d’ailleurs six pages de remerciements solidaires.

Lorraine Gaudreau est professeure retraitée du Département de psychosociologie et travail social de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Organisatrice communautaire de formation, elle a déployé sa pratique à travers un engagement dans les mouvements populaire, communautaire et coopératif, en économie sociale et solidaire, en solidarité internationale et en tant que consultante, entre autres, dans le secteur de la santé et des services sociaux. Ses projets de recherche s’actualisent, depuis 2013, au sein du Collectif de recherche participative sur la pauvreté en milieu rural de l’UQAR ayant comme mission de coproduire des connaissances au carrefour des pratiques sociales, de la ruralité et de la pauvreté en vue de contribuer au mieux-être des personnes et des collectivités rurales.